vendredi 23 décembre 2011

Conte de Noël sur le Pilat

Le dire magique des contes

Que dire des contes de Noël… sinon que le plus souvent ils sont faits pour les enfants sages. Mais, de nos jours, qui se soucie des histoires ‘émerveillantes’ de notre enfance. Et puis reste-il un enfant sage au moins ?
Mais au fait, qu’est-ce que le conte ? En principe ce sont, le plus souvent, des récits merveilleux, enjolivés rapportant un fait entendu ça ou là. Il sera colporté au fil de l’imaginaire de celui, celle, qui en assure la transmission. Nous avons en tête ces histoires rapportées par messieurs Grimm et Charles Perrault. Une galerie d’aventures fantastiques n’ayant, à première vue aucune chance d’être vraies, crédibles… à moins que...
Pour s’en faire leur avocat, nous dirons que ces récits sont surtout faits pour expliquer, préparer une situation à une époque où le seul moyen de communication possible est encore le récit fabuleux capable de percuter l’esprit à qui il est destiné. A ce moment le terme sage sera envisagé dans le sens où l’adulte est incité à devenir sage, SACHANT, et de fait initié. Là, il sera un sage et dans ce cas de figure nouveau dans son savoir, comme peut l’être un enfant.
Normalement, ce théâtre se déploie sur plusieurs dimensions pouvant se résumer par une belle histoire, puis une sorte d’initiation à des événements destinés à une catégorie définie d’individus entrant dans leur vie active ou symbolique. Par exemple, pour une future jeune femme (petit Chaperon rouge) entrant dans sa vie d’adulte. Ensuite le conte va plus loin en atteignant les frontières du symbolisme et un ultime étage où il ouvre au postulant, les arcanes de l’hermétisme. Le symbolisme, en principe est partout dans le conte, telles les bottes de sept lieux pour un tout petit Poucet fuyant un ogre ayant furieusement dévoré ses sept filles en lieu et place des garçons. Un chat botté défendant les intérêts de son maître un certain marquis de Carabas à qui il invente un immense territoire. Ensuite un Barbe Bleu trucide lugubrement ses femmes pour, ensuite, les laisser pendre dans un cabinet dont la clé saigne entre les mains de sa dernière, mais trop curieuse épouse… et puis des fées, des Cendrillons endormies dans l’attente du prince charmant qui les éveillera d’un baiser…  pendant qu’une fille de roi échappe à l’inceste royale couverte d’une peau d’âne.
On pourrait dire que toute cette violence masquée, cette horreur criminelle de créatures échappant à notre commun, devrait épouvanter l’enfant, alors que celui-ci écoute émerveillé. L’incroyable devient acceptable, ordinaire et supportable. L’enfant grandit, oublie… mais au fond de lui le merveilleux reste jusqu’au jour où…

Il était une fois…

Oui, jusqu’au jour où… Jusqu’au jour où on se trouve confronté à l’innommé, à l’irraisonnable, à l’impossible que nos yeux pourtant enregistrent en nous assurant que nous seuls, n’avons pas sombré dans le domaine du délire. Cette solitude dans l’événement rend la transmission de celui-ci des plus difficiles en raison de l’irrationnel rendant incroyable un récit qui le devient si on le pare du terme rassurant ‘conte pour enfant’… le rendant ainsi inoffensif et anodin. La pilule est passée sans frayeur ou méprisant haussement d’épaule. Son principe actif fera son chemin en notre être jusqu’à notre dernier souffle.
Alors oui, évidemment, tout pourrait commencer par « il était une fois ». Mais, est-ce seulement une fois que se produit ce genre de chose, une fois et où ?

Où ? Mais en un lieu dit « La Gagogne », un soir de solstice d’hiver au moment où la nuit sera la plus longue, dans le massif du Pilat. La ferme est très ancienne comme en attestent des fenêtres à meneaux et ouvertures à tableaux d’époque renaissance. Une propriété de terre pas très grande, car tronquée depuis longtemps, avec une rivière derrière. Une rivière, avec au dessus des rochers de grés parcourus de courtes coulanches d’écoulement et larges cupules. A ce propos, un grand coup de chapeau à l’ingénieur EDF qui, venu pour décider de l’implant du support Basse tension, admit qu’il était de bon ton de ne pas défigurer ce point mégalithique et déplacer le pylône de quelques mètres. 

Il neige cette nuit là. Il neige abondamment une neige lourde, épaisse. Elle tombe dans un obsédant chuintement paisible dans cette nuit sans bourrasque de ce vent, soudainement tombé après ce repas qui s’est prolongé jusqu’au moment où tout à coup la maisonnée décide de sombrer dans le sommeil.
Dehors. Dehors, les chiens dorment repus eux aussi après une pâtée d’exception composée des restes du copieux, mais familial, repas partagé dans une fraternelle amitié avec Raymond et les siens.
Dans cette profonde obscurité enveloppée de cette neige qui descend inexorablement droite, étonnamment dense, alourdissant les câbles électriques jusqu’à les faire rompre sous ce poids d’une blancheur brûlante de glace.
C’est fini… le ronron paisible et rassurant de la chaudière s’est éteint faute d’énergie. Un silence étonnant, cotonneux, sur lequel la lumière n’a pas "maîtrie".
Dehors. Ce sont les chiens qui vers deux heures du matin s’agitent, puis glapissent sourdement, bassement, de manière inhabituelle.
Lui. Il se réveille par le bruit de cet exceptionnel mouvement des chiens dans cette obscurité feutrée qui maintenant atteint l’intérieur de l’habitation. Les enfants dorment dans le doux rêve de ces paquets colorés qu’ils savent là sous le sapin, à leur réveil au matin. Les adultes aussi dorment profondément.
Tout devient quelque peu insolite, d’une autre dimension… le déplacement vers les bougies, l’allumette qu’il gratte et s’allume droite en ouvrant une courte brèche dans le noir de cette pièce que pourtant, il connaît, ou du moins croit connaître parfaitement.
Et puis les chiens. Ils gémissent comme s’ils s’apprêtaient en aboiements clairs qu’ils retiennent pourtant comme à regret ou peur. Il avance vers la fenêtre.
Les chiens se comportent ainsi pour la première fois et c’est cette exceptionnelle réaction qui l’intrigue, surpris il n’a pas encore peur. Et puis pour quelle raison aurait-il peur ? Du Père Noël, du Père fouettard, du diable bougre ? Un vague sourire, un haussement d’épaule d’agacement, les yeux plein de sommeil.
Il ouvre le battant de la fenêtre donnant sur la cour avant, celle du portail ouvrant sur le chemin, puis le contrevent. Ça y est… il se penche pour calmer les animaux qui continuent à se comporter dans ce mélange de peur et envie de clamer plus fort et sec leurs craintes de fidèles gardiens. Il pense évidemment qu’un animal errant s’est perdu dans la neige qui finit de tomber, en quête des restes alléchants abandonnés par les deux chiens gavés. Sans doute un sec « il suffit !!! couché !!! », rapidement va remettre de l’ordre et du silence dans cette nuit maintenant percée de quelques étoiles. Non, ça ne suffit pas et les animaux sont la queue basse, semblant ramper, partagés entre peur et colère de ne pas avoir chassé l’intrus.
Incompréhensible… Il lui faut se pencher, car à présent la torche électrique perce d’un faisceau laiteux la cour avant. Il voit les chiens mais surtout à présent il voit… Il voit dans la neige épaisse des empreintes de pas. Oui, des empreintes de pas, là dehors, dans cette blancheur à la limite d’une agressive passivité.
Un jeans, la parka, les bottes et le voilà au moment d’ouvrir la porte donnant sur l’extérieur en prenant le fusil de chasse accroché dans l’entrée, inconscient de l’idiotie de ce geste déplacé en la circonstance de cette nuit de mystère.
Il est dehors. Il avance alors que les chiens ne semblent pas le considérer. Ils geignent leurs regards fixés sur un point de cette ancienne cour de l’époque ou la propriété était protégée par une sorte de sommaire chemise avant suffisante pour arrêter quelques vagabonds errants en recherche d’une poule ou d’un larcin dérisoire. De cet espace monte un escalier de pierre suivant un muret épais, couvert d’un large auvent, assez haut pour protéger convenablement un homme.
Ce n’est pas là que scrutent les bêtes. Non… c’est cette ouverture basse, voûtée sous l’escalier, cette ouverture qui après un espace étroit se confronte à une porte s’étant ouverte et fermée sur des siècles de caves, engrangements ou autre chose d’ignorée ou prétendue telle et ça vaut sans doute mieux.
C’est là que se trouve l’intrus, il le sait à présent qu’il ne peut en être autrement. D’ailleurs, les pas enfoncés dans la neige arrivent de cette entrée et y retournent, après un étroit cercle de déambulation hésitante dans cette première cour.
Réflexion simple, les chiens ayant détecté un maraudeur, celui-ci se sentant menacé, découvert, retourne se cacher dans cette cave basse où il semble avoir trouvé asile pour cette nuit de Noël. L’insolite bourrasque de neige le surprit sans doute et l’individu s’est perdu. Il ne se demande pas, à cet instant, comment cet errant a pu entrer dans un périmètre clos à clé et protégé de hauts murs.
Il va aller résolument le déloger et demander quelques explications. Le bruit sec de la culasse du fusil qu’il vient d’armer lui donne ce courage idiot d’avancer d’un pas, puis d’un autre précédé par le cercle clair de la lampe torche et le canon de l’arme. Les chiens sont à présent derrière lui, ils se taisent mais il les sent inquiet, ils tournent sans vrai but à suivre.
La vieille porte est fermée sur ce qu’il craint à présent. Il prend son souffle, assure le fusil dans sa main qu’il sert nerveusement à présent. Un sec coup de pied ouvre sur l’obscurité tiède. La torche balaie rapidement cette cave que depuis des temps les habitants appellent… ‘la Chapelle’ sans que personne ne puisse en expliquer l’origine.

Il avance à présent car dans cette cavité vide, ou presque… il n’y a personne. Personne ! Oui personne… et pourtant les pas sortent d’ici dans la neige, depuis ce local bas taillé à même la roche et y retournent sans autre forme de procès. La torche luit toujours sans rien apporter de plus. Le fusil pend, inutile, à bout de son bras. Il se sent à présent ridicule là debout devant ce caveau vide… ses chiens derrière lui, à présent calmés, retournent dans leurs corbeilles en grognant faiblement leur dépit.
Voilà, c’est fini… il referme la porte de la cave. D’ailleurs, ça y est, l’électricité est revenue et le vent s’est levé à nouveau. Vite, avant que la bourrasque n’efface ces traces de pas, il en prend quelques photos. Mais à quoi bon ces quelques photos vides de toute substance, se demande-t-il déjà.

A quoi bon, se demande-t-il à présent, trente ans plus tard en regardant ces vieux clichés argentiques ? Et oui… à la veille de cette nouvelle nuit de solstice d’hiver de 2011, à quoi bon des photos d’empreintes de pas pouvant être prises n’importe où, par n’importe qui, n’importe comment, n’importe quand. D’ailleurs il se souvient bien comme si c’était la nuit dernière… avec le lendemain la neige, le vent et plus rien de ces traces à part peut-être les chiens qui s’approchent, en reniflant, craintifs de cette ouverture sur l’impossible.
Il ne dira rien… D’ailleurs, à quoi bon en parler sinon à se faire moquer ou entendre « ben oui, voilà ce qui arrive quand on force, la nuit de Noël, sur la Chartreuse verte… bois-en plus et la prochaine fois ce seront de petits hommes verts que tu verras arpenter dans la cour ».
Depuis cette nuit, il y a plus de trente ans pourtant, il sait qu’il n’a pas rêvé. Il est le seul à savoir la véracité de ces photos… Enfin lui, ses chiens, et ce qui est passé cette nuit là dans la première cour de l’ancienne maison forte.

Vous ne me croyez pas… ce n’est pas grave car moi non plus je n’y croirai pas si on me le racontait. Disons que c’est un idiot récit de Noël.

Suite en forme de chiffres, nombres et verrous

On dit, et on lit, sur un obsolète acte de propriété donné par le notaire de Pélussin, qu’une seule propriété se trouvait là, là où à la Révolution on en fit plusieurs lots dispersés. Ensuite, murs, clôtures et modifications ont fait le reste.
Le vieux document rapporte laconiquement qu’un local très ancien fut retrouvé et changé en caves. Mais le document ne dit rien sur quelques pierres trouvées là avec de rares gravures simplistes… des croix, des cercles, des creux et on ne sait plus bien quoi d’autre. Au demeurant, peut-être ne vaut-il pas tenter de se souvenir de ce ‘on ne sait plus bien quoi d’autre’. Il ya certaines choses qu’il est préférable de laisser dormir au fond d’un ancien lieu oublié de tous sauf… de l’innommé qui dans une cuisante obscure blancheur, lui, se souvenait de cette porte ouvrant sur une dimension interdite qui n’est plus la notre si tant est qu’elle le fut un jour.

Lui. Lui oui, ou alors ce n’était pas lui qui est descendu dans la cour, cette nuit là. Ce n’était pas le Pilat, et pas non plus à la Gagogne, un nom que certains conseillaient de ne jamais lire en le retournant sur lui-même, pour que les lettres G, sans leurs consonnes, ne deviennent des 6 répétés par trois fois jusqu’à arriver à 666. Ce 666 qu’il retrouvera 15 ans après sur son numéro de téléphone portable, sur sa carte de crédit et sur une définition enfouie au fond d’un annuaire des Postes de France.
Deux derniers détails lui reviennent au moment d’écrire ce conte d’un autre temps et d’un autre lieu. Hé oui, cette porte scelle un seuil, un perron. Or Pilat en vieux celte signifierait la porte, le seuil… Alors de l’un à l’autre, il se demande s’il n’y aurait pas qu’un pas ou plusieurs en boucle dans une neige d’un ailleurs par ailleurs qu’ici. Et puis, il se souvient que cette porte vieille, lourde mais étonnamment en bon état possédait deux lourds loquets la verrouillant… de l’intérieur ! De l’intérieur, comme si le vin et les pommes d’hiver se barricadaient pour finir de ‘maturer’ paisiblement à l’abri des humains de la première cour. Mais est-ce bien raisonnable de penser que quelque chose se ferme de l’intérieur dans ce caveau, oui ce caveau pourquoi avoir peur de ce mot, comme s’il en avait une raison innommable. Le plus insolite est qu’il reste plusieurs personnes qui se souviennent de cette vieille ferme, de ce caveau sous l’escalier, de cette porte lourde équipée de deux verrous se manoeuvrant seulement de l’intérieur.

Mais à quoi bon tout ça… si on considère que l’inconcevable ne sait se concevoir pendant que certaines manipulations numériques ou alphabétiques débouchent forcément sur tout et n’importe quoi au point où cette nuit de solstice IL ne sut plus où ses pas le conduisait…. Et c’est sans doute mieux ainsi… il était une fois ou pas, qui peut le dire vraiment ou le nier vraiment ?

Bon Noël à tous dans notre Pilat ou ailleurs, hier maintenant et demain.

André Douzet
le 23 décembre 2011

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