dimanche 28 août 2011

Châteauneuf et ses seigneurs

L’Histoire de tout le monde… peut en cacher une autre
Le lecteur trouvera nos autres textes, à propos du sujet spécifique de Châteauneuf, sur le site Société Perillos où ils trouvent leur place en raison de leur lien direct avec l’affaire de Rennes-le-Château et Périllos. Ce chapitre, évidemment, fait suite à nos textes précédents et est indissociable des éléments concernant Guillaume et Béatrix de Roussillon… et les complète logiquement.
Pour présenter l’historique de ce site remarquable, des centaines de pages seraient nécessaires… mais pas forcément indispensables pour une première approche. Nous présenterons donc un choix d’extraits d’ouvrages offrant un survol d’une chronologie historique. Certes, concernant ce site et les conséquences que ces maîtres supporteront, nous verrons nos recherches s’axer sur certains aspects… dissimulés, occultés, entretenus soigneusement ‘sous le boisseau’. Cependant, chaque fois que nous pouvons, nous appuyons nos travaux sur des bases historiques… sans en faire cependant une fixation. Effectivement, souvent l’Histoire n’est qu’une sorte de grosse coque plus ou moins creuse. Simultanément à son ‘mûrissement’, d’autres événements que véhicule cette ‘porteuse’, souvent sans même le savoir, la façonnent afin que s’accomplissent d’autres faits qui, parfois, se déroulent dans une discrétion absolue… sans intervention directe sur cette Histoire de tout le monde.
Pour le site de Châteauneuf, nous ouvrons cette série de pages remarquablement remplies par des historiens souvent pionniers (souvent soupçonnés d’erreurs par ceux qui, bien entendu, auraient été incapables, à l’époque, de faire autant… sans parler de mieux !) ou d’éclairés érudits locaux, amateurs du passé. Nous les remercions tous de faciliter si souvent notre tâche par leurs écrits incontournables.
L’ancien pays de Jarez selon A. Vachez
Nous commencerons donc par un ouvrage d’A. Vachez, bien connu : ‘Etudes Historiques sur l’ancien Pays de Jarez’, paru en 1885. Nous reprenons dans ce livre remarquable le chapitre VIII, consacré précisément à Châteauneuf (pages 49 à 60). Cet auteur reste un des premiers à simplifier la chronique au point de nous la rendre accessible. Quoique certains en disent, il est un de ceux qui collationnèrent le plus grand nombre de documents anciens et vénérables, concernant les régions qui nous intéressent. Nous avons ici un excellent résumé chronologique concernant les maîtres de Châteauneuf.
Nous ajoutons à ce texte le plan du site fortifié avant la Révolution… qui se trouve en ouverture de cet ouvrage avant même que débute le contenu. Le visiteur trouvera, évidemment, de nombreux changements sur le site et, hormis la chapelle (appelée ‘Eglise’) et le cimetière, il ne reste que de pauvres vestiges marquant toutefois l’importance de ce ‘verrou’ sur la vallée du Gier.
Vestiges et mémoires
Vachez souligne que le site portant le terme ‘neuf’ montre qu’il y eut, logiquement un castel plus ancien. Il est vrai que ce qui reste de l’agencement ne peut que remonter, au plus vieux, qu’aux derniers remaniements suite à l’incendie du début du XVe siècle. De toute évidence, lors de ces travaux, il y eut reprise sur les anciennes fondations de l’époque des Roussillon… qui elles-mêmes datent des époques wisigothes… construites sur les vestiges romains. Cette occupation de l’éperon rocheux n’est pas discutable car on peut encore trouver quelques vestiges, dont un puits (quasiment comblé à présent) avec un parement de briques romaines dont certaines portent la marque du potier... Ce puits dut être réutilisé au fil des réoccupations car on y a retrouvé, il y a plus de 40 ans, divers vestiges médiévaux et les restes d’un homme comportant un carreau d’arbalète fiché dans l’os du bassin… Le plan du fort romain a été dressé par un instituteur de la Grand-Croix, en 1896, Antoine Gattin. C’est sans doute le document le plus complet sur la question, où est également signalé le tracé d’un petit aqueduc souterrain alimentant la place depuis une prise d’eau à quasiment un kilomètre en amont. Au début du XXe siècle, il se disait encore que, de nombreuses fois, la charrue et son attelage seraient tombés dans la galerie d’alimentation en divers endroits de sa longueur. A. Gattin signale tous les emplacements où il retrouve des vestiges romains dans les soubassements de certaines maisons du village, dont une large portion d’une mosaïque de sol servant de socle pour… une chaudière ! C’est plus loin, sur le côté gauche de la route qui traverse le village, que se trouvait un petit hypogée dont l’entrée était encore visible en 1960. Quant au culte romain, Gattin et Charrerond en retrouveront les bases avec un petit oratoire à la sortie du village (côté droit) et près du nouveau cimetière où on voyait les restes d’un bassin rituel… Sur ces trois lieux, d’intéressants vestiges ont été retrouvés. Ils font aujourd’hui la fierté de quelques collectionneurs de Rive-de-Gier qui se reconnaîtront sans doute ici !
Des restes encore visibles
Ruine de la chapelle 'La Madeleine’
Quant à ce qui reste du château lui-même, nous signalerons quelques vestiges encore bien connus au début du XXe siècle. D’abord, ce qu’il reste du donjon, près de la chapelle castrale, sert d’esplanade pour une statue mariale sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Cette assise est posée sur une salle voûtée importante dont l’entrée murée se voyait distinctement en 1957 (M.Charrerond).
Une cavité, accessible depuis le vieux bâtiment encore conservé à hauteur du rez-de-jardin, s’ouvrait vers l’effondrement au pied du mur sud. Ce pouvait être une citerne… ou tout aussi bien la fameuse ‘petite salle basse’ dont il est question à propos de la signature et l’entrepôt de certaines pièces conservées maladivement par Guillaume de Roussillon. Enfin, un puits… en contre bas des appartements seigneuriaux ; très curieusement il s’agit d’un puisard sec qui de toute évidence le fut dès son origine. Et tout aussi curieusement, tout au fond se voyait une gravure représentant trois épis ou navettes surmontés d’un cercle… De ce fond partait une galerie en forme de mine. Nous ne sommes jamais allés plus loin en raison des risques conséquents d’effondrement de l’ouverture et des chicots de murs qui l’entourent encore.
Il nous restera à revenir ultérieurement sur d’autres ‘détails’ et surtout sur la chapelle Sainte Madeleine, dans le champ face à Châteauneuf… là où se trouve maintenant l’échangeur de l’autoroute actuelle.
A suivre…
A. Douzet
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Châteauneuf

(selon A. VACHEZ – 1885)

Dans son étude sur le Jarez et ses seigneurs, M. de la Tour-Varan attribue aux Lavieu la construction du vieux manoir de Châteauneuf. Mais cet historien avoue lui-même qu'il ne peut fournir aucune justification de ce fait, et qu'il ne donne cette opinion que comme une simple probabilité (1).
Et, en effet, aussi haut qu'on remonte dans l'histoire de l'ancien pays de Jarez, aucun document ne nous montre les Lavieu possessionnés à Châteauneuf. Ses premiers possesseurs furent les Roussillon, famille puissante qui possédait aussi, dans le Lyonnais, Riverie, Dargoire, l'Aubépin et Saint-Romain-en-Jarez, et à laquelle il doit, sans aucun doute, sa construction. Il est à remarquer, en effet, que la plupart des châteaux appartenant aux seigneurs de Roussillon paraissent avoir été construits d'après un plan stratégique évident. Car on pouvait, de Châteauneuf, correspondre par des signaux avec Riverie, comme de cette dernière forteresse on pouvait surveiller le château de l'Aubépin.
D'ailleurs, le nom de Châteauneuf nous indique lui-même que ce château fut élevé à une époque relativement récente, et postérieure, dans tous les cas, aux autres forteresses féodales voisines, telles que Riverie, Senevas et Dargoire. Aussi, n'apparaît-elle dans l'histoire qu'au commencement du XIIIe siècle, dans un traité passé, en 1220, entre Artaud III de Roussillon et Renaud de Forez, archevêque de Lyon qui, entre autres engagements, promit, sous la foi du serment, de n'élever aucune fortification nouvelle dans le mandement de Châteauneuf, non plus que dans ceux de Riverie, de Dargoire et de Pizey (2).
Artaud de Roussillon, quatrième du nom, succéda à son père Artaud III, vers 1228. Trente ans plus tard, le 10 février 1258, (n. st.), émancipant son fils aîné Guillaume, il lui donna en pleine propriété la seigneurie de Châteauneuf avec toutes ses dépendances (3).
A la mort de son père, survenue vers 1270, Guillaume de Roussillon, déjà seigneur de Châteauneuf, lui succéda dans la possession des terres de Roussillon, de Riverie et de Dargoire. Il joignit même à toutes ces seigneuries celle d'Annonay qui lui fut léguée par son cousin, Aymar de Roussillon, dans son testament du 6 juin 1271 (4).
Guillaume testa le 11 août 1275, au moment de partir pour la Terre-Sainte, où le roi Philippe le Hardi l'envoyait secourir les chrétiens d'outre-mer, à la tête de 100 hommes à cheval et de 300 sergents à pied, auxquels se joignirent plusieurs chevaliers dauphinois. Arrivé au port d'Acre, au mois d'octobre de la même année, il prit le commandement général des troupes chrétiennes et donna dans maintes occasions des preuves de son habileté et de sa bravoure. Mais ce n'était pas avec d'aussi faibles forces que l'on pouvait rétablir les affaires des chrétiens. Le vaillant chevalier eut du moins la gloire de maintenir la situation et d'inspirer aux infidèles une terreur que justifiait sa bravoure (5).
Guillaume de Roussillon mourut en Palestine à la fin de l'année 1277, en emportant les regrets de toute l'armée des croisés. Il avait épousé Béatrix de la Tour, fille d'Albert III, baron de la Tour, et de Béatrix de Coligny, qui lui donna six enfants, dont l'aîné, Artaud V de Roussillon, fut institué héritier universel par son père. Mais, dans son testament que sa veuve fit transcrire par l'official de Vienne, le 3 janvier 1278 (n. st.), Guillaume avait aussi légué à cette dernière, pour son douaire, les châteaux de Nervieu et de Châteauneuf, et c'est dans ce dernier château que Béatrix paraît avoir fait sa résidence habituelle, jusqu'au jour où elle fonda la Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez (6).
La charte de fondation de ce monastère fut dressée, le 24 février 1280, dans le cloître de Taluyers (7), et c'est dans cette Chartreuse qu'elle passa les dernières années de sa vie. A sa mort, arrivée le 18 mai 1307, Châteauneuf revint aux mains de son fils Artaud V de Roussillon, seigneur de Roussillon, de Riverie et de Dargoire. Ce dernier mourut en 1316 et son fils Aymar de Roussillon fixa avec l'église de Lyon les limites respectives des seigneuries de Rive-de-Gier et de Châteauneuf, par une transaction portant la date du 18 février 1321 (8).
Alix de Roussillon, fille unique d'Aymar, épousa, en 1350, Humbert VII de Thoire-Villars auquel elle apporta en dot la terre de Châteauneuf, avec toutes les autres seigneuries appartenant à la maison de Roussillon. Morte sans enfants, longtemps avant son mari, elle légua même toutes ses terres à ce dernier, par son testament qui porte la date du 22 février 1367 (n. st.) (9).
Toutefois, ce legs n'assura pas immédiatement à Humbert VII la jouissance paisible de la succession d'Alix de Roussillon. Guillaume de Roussillon, chanoine de Lyon, oncle de cette dernière, éleva des prétentions sur les terres de Roussillon, d'Annonay et de Riverie, du chef de Marguerite de Roussillon, dame de Viriville, sa sœur, et cette réclamation parut assez sérieuse au sire de Villars, pour qu'il transigeât avec Guillaume, auquel il céda la jouissance viagère des châteaux de Dargoire et de Châteauneuf, avec une rente de 140 livres, assise sur les revenus de Roussillon et de Riverie, et une somme de 2.100 florins, pour lui tenir lieu de 14 ans d'arrérages de ladite rente, en échange de sa renonciation à tous les droits qu'il prétendait avoir sur l'héritage des Roussillon (5 décembre 1369) (10).
Mais Humbert VII avait recouvré la jouissance pleine et entière de Châteauneuf quand il fit donation de cette terre, ainsi que de celles de Riverie, Dargoire et l'Aubépin, à sa troisième épouse, Isabeau d'Harcourt, pour la remplir de ses reprises matrimoniales (6 octobre 1400) (11).
Après avoir reçu cette donation, Isabeau d'Harcourt ne tarda guère à prendre possession de ces diverses seigneuries où, dès ce moment, elle se conduisit en maîtresse et souveraine. C'est ce que nous apprend une procuration donnée, le 3 décembre 1400, par le sire de Villars, à l'effet de délivrer à Isabeau d'Harcourt, son épouse, toutes les terres contenues dans la donation qu'il lui a faite, et l'en mettre en possession réelle et corporelle (12). C'est ainsi pareillement que nous voyons Isabeau d'Harcourt accorder aux habitants de Saint-Chamond, de Saint-Priest, de Rochetaillée et du Thiel (Lavalla), l'exemption de tous les droits de péage, qui_étaient perçus surtout sur les fers, dans les terres et juridictions de Châteauneuf et de Dargoire (13).
A la fin du XIVe siècle, l'hommage des terres de Riverie, Châteauneuf et Dargoire était dû, pour une cause qui n'a point encore été expliquée, à Jean, duc de Berry. Mais, en 1392, ce prince ayant été reçu chanoine de l'église de Lyon, céda au chapitre tous ses droits de suzeraineté sur ces diverses terres, et ce fut ainsi qu'Isabeau d'Harcourt en fit hommage entre les mains du doyen du chapitre, le 17 septembre 1401 (14).
Humbert VII tenait beaucoup, d'ailleurs, à l'exécution des libéralités qu'il avait faites à son épouse.
Ainsi, dans une lettre écrite par lui le 18 octobre 1419 « à ses bien aimés les nobles et autres gens, manants et habitants de Châteauneuf », il les engage fortement à ne reconnaître, après son décès, aucun autre seigneur, que la dame d'Harcourt, à laquelle il avait fait donation dudit lieu. Ils ne devaient donc permettre à personne d'y mettre garnison, et dans le cas où le seigneur de la Roche, son neveu, se présenterait, on devait lui fermer les portes de la forteresse (15).
Cette lettre nous révèle, ainsi que d'autres documents (16), que Philippe de Lévis, seigneur de la Roche en Régnier et neveu d'Humbert VII, élevait des prétentions à la succession du sire de Villars, même du vivant de ce dernier. Mais il est certain que la donation faite à Isabeau d'Harcourt reçut sa complète exécution, et qu'elle posséda paisiblement, jusqu'à sa mort, Roussillon, Annonay, Riverie, Dargoire et Châteauneuf.
C'est ainsi que dans son testament, en date du 20 novembre 1441, après avoir institué pour son héritier universel, son cousin Charles, duc de Bourbon et comte de Forez, elle légua au chapitre de Saint-Jean les châteaux et seigneuries de Dargoire et de Châteauneuf, avec toutes les terres qu'elle possédait à Ampuis, sous la condition de remplir diverses charges, rappelées dans une inscription qui existait autrefois dans la chapelle de la Croix de l'église primatiale, et dont il ne subsiste plus aujourd'hui que le cadre en pierre sculptée, élevé sur un pied droit, orné d'une statuette (17).

Dans son testament, Isabeau d'Harcourt ordonne aussi qu'à l'avenir les seigneurs de Riverie ou leurs officiers ne pourraient plus, comme ils en avaient le droit auparavant, juger et connaître, à aucun degré, des causes des habitants de Châteauneuf et de Dargoire; mais les procès des lieux de Chagnon, d'Ampuis et de la Garde, qui ressortissaient autrefois en appel de la juridiction de Châteauneuf et de Dargoire, devaient être soumis, à l'avenir, à la connaissance des officiers de justice de Riverie.
Une autre disposition concerne les créances et les dettes de la testatrice vis à vis des habitants de Châteauneuf, de Dargoire, de Riverie et de ses autres seigneuries, toutes les personnes dignes de foi, dont la dame d'Harcourt pouvait être débitrice, furent admises à réclamer leur paiement à son héritier, en affirmant la sincérité de leur créance, sous la foi du serment. Ses débiteurs furent également autorisés à prouver leur libération, sous la même condition.
Ce testament renferme encore un legs de 50 francs à la chartreuse de Sainte-Croix, à la charge de quelques prières pour le repos de son âme. Tous les couvents et les hôpitaux de Lyon reçurent aussi diverses libéralités. Enfin, la testatrice choisit pour exécuteurs testamentaires l'archevêque de Lyon et Pierre Charpin, licencié en droit, camérier de Saint-Paul et official de Lyon (18).
Le 10 juin 1443, trois jours après l'inhumation d'Isabeau d'Harcourt dans l'église de Saint-Jean, le Chapitre déclara accepter les libéralités qui lui étaient faites par cette dernière, et promit d'exécuter les charges qui lui avaient été imposées, et qui consistaient notamment dans l'obligation de dire, chaque jour, une messe dans la chapelle du Haut-Don (aujourd'hui de la Croix), de se rendre, chaque semaine, en procession dans cette chapelle, pour y chanter des oraisons sur sa tombe, et de célébrer, chaque année, le jour anniversaire de ses funérailles, un service solennel pour le repos de son âme (19). Ajoutons que toutes ces fondations ont été remplies fidèlement par le Chapitre de Saint-Jean, jusqu'à la Révolution (20).
En même temps, Pierre Charpin, exécuteur testamentaire de la dame d'Harcourt, poursuivit sans délai l'envoi du Chapitre en possession, des seigneuries de Châteauneuf et de Dargoire. Les officiers de Charles de Bourbon, son légataire universel : Gilbert de la Fayette, maréchal de France, et Gastonnet du Gast, seigneur de Lupé, assistés des juges de Forez et de Beaujeu, s'empressèrent, de leur côté, de faire droit à cette demande et délivrèrent au Chapitre les seigneuries léguées, en même temps que tous les legs pieux qui leur avaient été faits par la testatrice (21).
Ce fut ainsi que, depuis cette époque et jusqu'à la Révolution, Châteauneuf et Dargoire ne formèrent plus qu'une seule seigneurie, dont l'administration et les revenus étaient attribués à l'un des chanoines de la primatiale, appelé ‘obeancier’ ou seigneur ‘mansionnaire’.
Le premier de ces seigneurs mansionnaires fut le chanoine Henri d'Albon, auquel le Chapitre confia, le 6 novembre 1443, l'administration et la régie des châteaux de Châteauneuf et de Dargoire, avec les droits qui en dépendaient, « à la charge par lui de les faire garder fidèlement, d'y exécuter les réparations nécessaires, de les entretenir en bon état à ses dépens et de payer les anniversaires fondés par la dame de Villars (22). »
Rien ne vint troubler la possession paisible des chanoines comtes de Lyon, jusqu'au temps des guerres civiles de la fin du XVIe siècle. Mais l'humble manoir ne put échapper alors aux guerres incessantes qui désolèrent le Lyonnais, à cette époque.
Au mois de juillet 1590, toutes les forces des ligueurs lyonnais, commandées par Jacques Mitte de Chevrières, seigneur de Saint-Chamond, étaient occupées au siège de Thizy, quand les royalistes de Vienne, commandés par Antoine d'Hostun, seigneur de la Beaume, s'avancent dans le Lyonnais et s'emparent de Chateauneuf et de Riverie, où ils firent un certain nombre de prisonniers.
Mais, dès le 8 août suivant, Chevrières était sous les murs de Riverie, qu'il attaqua avec les deux canons et les deux couleuvrines qu'il avait ramenés de Thizy. Il put ainsi, dès le 10 août, livrer un assaut qui lui coûta des pertes sensibles mais qui lui livra la possession de ce village. La garnison, qui ne comptait plus que 300 hommes, se réfugia dans le château contre lequel les assiégeants ouvrirent le feu de leur artillerie.
La place était forte, comme Chevrières le reconnut lui-même dans sa correspondance avec le Consulat lyonnais (23); mais, privés de canons, les assiégés ne pouvaient tenir longtemps devant les moyens puissants d'attaque dont disposaient les ligueurs. Il suffit de quelques centaines de coups de canon pour les décider à l'évacuer, ce qu'ils firent dans la nuit du 11 au 12 août 1590, environ deux heures avant le jour. Ils purent ainsi gagner sans obstacle Châteauneuf qui était déjà en leur pouvoir.
Néanmoins, Chevrières envoya à leur poursuite quelques cavaliers avec 200 arquebusiers qui firent mine d'investir Châteauneuf. Mais la garnison fit bonne contenance, et l'affaire se borna à quelques escarmouches qui se renouvelèrent à plusieurs reprises pendant la nuit mais qui furent sans résultat.
Abandonné par une partie de ses soldats et menacé par une troupe de 300 cavaliers et d'un pareil nombre d'hommes à pied, envoyés de Vienne au secours des royalistes, Chevrières n'osa entreprendre le siège de Châteauneuf et exposer son artillerie à tomber aux mains des ennemis. Il rappela les troupes qu'il avait envoyées devant cette place et renvoya, à Lyon, dès le 13 août, par la voie de Duerne et d'Iseron, les deux canons et les deux couleuvrines que lui réclamait le consulat.
De leur côté, les troupes royalistes ne tardèrent guère à revenir à Vienne, où les suivit le baron de Riverie, Antoine Camus, qui vit son château de Riverie rasé impitoyablement par les ligueurs, quelques jours après qu'il fut tombé en leur pouvoir (24). Aucun autre fait historique n'est à signaler au sujet de Châteauneuf, jusqu'à la Révolution qui confisqua les terres du chapitre et fit démolir le vieux château.
Aujourd'hui, il ne subsiste plus, de l'antique forteresse des Roussillon, que quelques débris de murailles s'écroulant de toutes parts et au pied desquelles, dans une gorge étroite, semble s'abriter, comme aux temps féodaux, l'humble village de Châteauneuf. Jusqu'à ces dernières années, l'église qui avait déjà rang de paroisse au XIIIe siècle, mais qui n'est plus qu'une simple chapelle, demeurait seule debout au milieu de ces ruines, quand fut érigée, le 17 septembre 1876, sur le terre-plein formé par les premières assises de l'ancien donjon du château, une statue de la Sainte Vierge, sous le vocable de Notre-Dame de l'Espérance (25).
L'humble cimetière, situé au delà du fossé qui sépare la vieille forteresse du sommet de la croupe ardue sur laquelle elle fut bâtie, achève de donner à Châteauneuf un caractère de mélancolique tristesse. C'est vainement que le mouvement incessant du chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, qui passe à ses pieds, vient interrompre le silence qui règne d'ordinaire autour de ces ruines. Ce bruit d'un moment, qui s'éteint et renaît tour à tour, laisse à peine au visiteur l'illusion d'un retour de quelques instants vers le passé. Car il lui rappelle, à toute heure, que la vie moderne et nos habitudes sociales ne sont plus celles des générations qui ont élevé ces vieux remparts, auxquels chaque orage et chaque hiver enlèvent une pierre, et dont il ne restera bientôt plus qu'un souvenir.
Renvois dans le texte
(1) - De la Tour-Varan. Châteaux et abbayes du Forez. II. 310.
(2) - Mazures de l'Isle Barbe, 531. — Bréquigny. V. p. 153.
(3) - Huillard-Bréholles. Inventaire des titres de la maison de Bourbon. 40, 273 et 354. — Noms féodaux. — D'Achéry. Spici-legium. III. 637. — Bréquigny. VI. 366.
(4) - Huillard-Bréholles. Inventaire etc. 518, 520, 553, 559, 575. — Chorier. Hist. du Dauphiné. 147. — La Mure. Hist. des ducs de Bourbon et des comtes de Forez. I. 271. — Noms féodaux.
(5) - Chorier. Hist. du Dauphiné. 155. — Roger. La noblesse de
France aux Croisades. 158.
(6) - Huillard-Bréholles. Inventaire. 640 et 641. — Noms féodaux.
(7) - Mazures de l'Isle Barbe. 533.
(8) - V. le chapitre IV de ces Etudes.
(9) - Chaverondier. Invent. des titres du Forez, n° 287. — Huillard-Bréholles n° 2991 et 3021.
(10) - Huillard-Bréholles. Inventaire etc. N° 3124, 3128 et 3129, — Noms féodaux.
(11) - Archives du Rhône. Esther, f.136 — La Teyssonnière. Recherches histor. sur le départ. de l'Ain. IV. 173 et s. — Guichenon. Hist. de la Bresse.
(12) - Archives du Rhône. Esther, f.137.
(13) – Ibidem. f. 222.
(14) – Ibidem. f. 197.
(15) – Ibidem. f. 138.
(16) - V. notamment Chaverondier. Inventaire etc. n° 1233.
(17) – V. le travail que nous avons publié dans la ‘Revue du Lyonnais’ (3e série, t. V. p. 173) sous ce titre : Isabeau d’Harcourt et l’église de Saint-Jean.
(18) - Archives du Rhône. Esther, f.140. — Archives nationales. Bourbonnais, PP. 37, c. 1121 et 1122.
(19) - Quincarnon. Antiquités de l'église de Saint-Jean, p. 54 (p. 57 de la nouvelle édition publiée par M. Guigue dans la Collection lyonnaise. Lyon. Georg. 1879).
(20) - L'abbé Jacques. Le Révélateur des mystères, 17. — Arch. du Rhône. Esther f.182.
(21) - Archives du Rhône. Esther. f.189.
(22) Ibidem. f.251. — Voici la liste des seigneurs mansionnaires de Châteauneuf et de Dargoire, dont nous avons pu retrouver les noms : Henri d'Albon, 1443. — Charles de Grilly, 1530. — Jean de Talaru Chalmazel, avant 1579. — Gaspard Mitte de Chevrières, 1579. — Antoine de Crémeaux, 1609-1614.— Aymé de Saint Aubin de Saligny, 1629-1651. — François des Escures, 1659-1670. — Claude de Saint-Georges, 1670-1690.
— Germain de Chateigner de la Chateigneraie, 1760-1762 — Lezay de Marnésia, 1787-1790.
(23) - Lettre de Chevrières au Consulat : « Je vous asseure que d'autant plus que je considère ceste place, d'autant plus je la treuve forte, et s'ils eussent eu autant de courage de la défendre, comme nous avions de l'assaillir, nous eussions eu beaucoup de peine à l'avoir. » {Arch. de la ville de Lyon AA. 37. f.247. —12 août 1590.)
(24) Archives de la ville de Lyon. AA. 37 et 109. — BB. 125. Archives historiques et statistiques du départ. du Rhône. XII. 163. — Clerjon. Hist de Lyon, V. 389.
(25) V. ‘la Semaine catholique de Lyon’, année 1876, p. 886.

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