dimanche 28 août 2011

A la poursuite de la pierre Alpha

Une frise pour une certaine fin
Nous poursuivons notre voyage dans le légendaire de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez par un récit concernant une frise répétitive d’omégas sculptés sur les piliers du monastère.
La légende que nous avons recueillie est simple et claire, mais évidemment à prendre en son sens ésotérique. En effet il n’y a certainement pas à craindre que la chartreuse de Sainte-Croix s’effondre en cas de découverte d’une frise d’alphas sculptée sur une pierre cachée de cette chartreuse du Pilat. On peut supposer qu’il s’agit là de l’interprétation d’un élément dont on a perdu pratiquement l’explication et le sens.
Cependant cette légende fait mention d’une pierre ‘Alpha’ donc d’une pierre du commencement. Peut-être faut-il comprendre, dans ce récit, un lien oublié avec un endroit, dans ce secteur, qui aurait contenu (contiendrait sans doute encore ?) une ‘pierre du commencement’ ? Si oui de quel ‘commencement’ pourrait-il s’agir ?

Au commencement était-il une géographie sacrée ?
Il est également possible que cette légende ne soit qu’un récit symbolique… une sorte d’image pour frapper l’esprit populaire, du genre : « au commencement est Dieu , puis ensuite on trouve des religieux priant pour le bien et l’équilibre du Monde… en oubliant peu à peu cet équilibre tout peut rapidement sombrer dans une fin apocalyptique de l’Humanité ». En somme le commencement est nécessaire à la continuité de notre évolution. Si nous ne devons pas négliger cette explication, il nous est possible d’en aborder une autre qui s’adapterait à la fois aux antiques lieux du territoire de Sainte Croix et à son histoire oubliée.
Un pilier cylindrique dans l'entrée principale de la Chartreuse de Ste Croix
En effet, nous disposons d’un ensemble d’éléments pouvant tout à fait entrer dans la configuration de cette légende. Reprenons, dans notre ‘Introduction à une géographie sacrée du Jarez’, les textes concernant le site du ‘Grand Roussilla’. Dans le ‘Journal des amis de littérature’ (1792) il est bien question de légendes et des traditions locales à propos d’une ‘pierre parlante’… Dieu n’est il pas montré comme la Parole, le verbe, le son ? Cette pierre sacrée, divine, capable d’identifier le ‘vrai souverain’ ne pourrait-elle pas être considérée comme la … Pierre d’origine, celle sans qui l’ordre ne peut plus être imposé et donc ouvrir sur le chaos ? Cette ‘base rocheuse’ est reprise dans la légende arthurienne, elle-même identifiée en quelques endroits autour de la chartreuse de Ste Croix. A ce propos nous avons vu que la forteresse du roi Arthus, "le Château del perron", comportait une pierre, ou un perron, nommée "la Pierre de l'Honneur" où Lancelot fut mis à l'épreuve. Or, le perron d’une demeure seigneuriale était la pierre cubique depuis laquelle, symboliquement, le chevalier se hissait à cheval. Une pierre cubique sur laquelle nous reviendrons plus loin à propos de Sainte Croix. Poursuivons encore un peu sur ce ‘Grand Roussilla’, capitale locale de l’autorité. Pour le Père G. Coquillat (sur lequel nous reviendrons dans un chapitre que nous lui consacrerons), le Grand Roussilla, plus tard Ste-Croix-en-Jarez, comme nous l'expliquerons plus loin, était l'omphalos de cette partie de la Gaule marquant les limites de plusieurs peuples celtes : "... L'usage du droit écrit commence de ce lieu du Castel Crux (il s'agit de la forteresse de Ste-Croix-en-Jarez) qui est en ce pai's, vers le septentrion qui est coutumier contre le mydi qui est droit écrit, à une croix qui est prez de là, venant du Bourbonois duque là mesmes est faite séparation d'avec le Fores en la pierre de cette croix y avoit plusieurs mots gravez."
Soutenant fermement l’hypothèse que Ste Croix n’est autre que cet antique site hautement sacré, nous verrons dans un autre chapitre, qu’à Sainte Croix, une ‘Pierre cubique’ a bien été retrouvée et représente effectivement un reliquaire vraiment hors du commun ! Si le site fut la possession des seigneurs de Roussillon (légende de la fondation du monastère) et qu’il fut légué suite à la mort héroïque de Guillaume de Roussillon, puis au ‘songe miraculeux’ de Béatrix, il est évident que cette illustre famille connaissait le passé sacré de cet endroit , ce qu’il représentait, et surtout son contenu. Cette connaissance serait-elle celle de tout ou partie de cette ‘pierre de cette croix y avoit plusieurs mots gravez’ ? Ces ‘mots gravés’, ou ce morceau de croix, auraient-ils une importance remarquable ou représenteraient-ils un tel danger qu’on ait décidé de les dissimuler, ou les soustraire à quelques cupidités ?

Des omégas et des chartreux
Maintenant revenons dans l’enceinte de la chartreuse. Après avoir quitté la première cour dite ‘des laïcs’, nous nous trouvons dans la partie uniquement réservée à l’usage des pères chartreux. C’est dans ces lieux que nous retrouverons l’ensemble des éléments les plus étranges du monastère. Intéressons-nous uniquement, pour l’instant, à notre sujet : les chapiteaux décorés d’une frise d’Omégas.
Curieusement cette décoration n’est conséquente que dans cette portion des bâtiments réservés aux chartreux, comme le confirme la légende : « En ces murs est le secret du tout ! Du début à la fin. Les moines Chartreux pour s’en imprégner encore méditaient cette énigme ainsi posée. –Comme seul décor quelques chapiteaux portent l’oméga ! Une seule pierre dans la Chartreuse porte l’alpha… ». Cette connaissance est donc bien réservée à une caste, ou élite, religieuse, à propos ou instruite du secret des lieux.

Un pilier cylindrique dans la salle d'accueil touristique de Ste Croix
On trouve ces piliers, avec cet ornement symbolique, répétés au long du couloir séparant la première cour du cloître, et dans ce dernier également. Nous observerons que les piliers recevant ce chapiteau avec sa frise ne sont pas de section circulaire. De plus on remarque que ces piliers sont quasiment toujours encastrés dans l’appareillage des murs et pourrait être considérés comme des ‘chaînages’ de soutien ou des ‘tableaux’ d’encadrement (passage, porche…). Ils ne sont pratiquement jamais présentés isolés en fonction de pilier ou poteau de pierre. Ce détail se souligne un peu plus si nous regardons d’autres endroits, laïcs, où nous retrouvons encore des piliers. Ceux-ci, curieusement, sont souvent de section circulaire et leurs chapiteaux représentent de simples formes plates, ou décorés de belles volutes comme nous le voyons dans l’épicerie, les salles d’accueil du restaurant (à droite de l’entrée) et des visites guidées (à gauche de l’entrée). Nous savons également des piliers dans les parties souterraines. Ils sont le plus souvent formés d’un appareillage de pierres… sauf un ou deux beaucoup moins accessibles et donc peu connus des chercheurs !
Le savoir des Roussillon dans les murs de Ste Croix ?
Ces remarques concernant la section des colonnes marquent peut-être les lieux des moines et des laïcs selon un code dont nous n’avons plus le sens complet ou ésotérique. Il se peut également que ces chapiteaux aient été récupérés justement sur les lieux de l’ancienne forteresse sacrée au moment de sa démolition pour donner naissance à la chartreuse. Cette possibilité pourrait facilement s’appuyer sur les différences flagrantes de factures, d’usures, de dimensions, et de types. Les frises d’Oméga seraient alors un des vestiges rappelant aux ‘initiés’ que la pierre des origines est ici encore enfouie dans les entrailles de Ste Croix. Nous verrons qu’il existe aussi d’autres ‘vestiges’ encore plus étranges pouvant aussi provenir de constructions plus anciennes que la chartreuse…
Egalement le fait que ces ‘décorations’ soient toujours incrustées dans un mur de la partie réservée aux pères chartreux ne doit pas nous échapper. Peut-être ce détail nous permet-il de comprendre, simplement, que ce ‘savoir’ a bien été… incrusté, inclus entièrement, dans les murs de la chartreuse de Ste Croix… dans ses murs au sens de propriété matérielle et qu’il est indispensable de maintenir l’information pour une succession encore à venir et qui ne doit pas s’interrompre.
L’usage de la section carrée des chapiteaux ‘Oméga’ donne si on la développe, en volume et depuis le côté du carré, la forme du cube… Cette constatation logique nous amènerait-elle à comprendre que ces chapiteaux carrés sont le rappel discret, ou secret, d’un cube de pierre ou d’un minéral formant l’entrée d’un savoir oublié ?… une sorte de perron posé à l’entrée d’un seuil franchissable sous des conditions strictes ? une sorte de marche réservée à l’usage d’une certaine chevalerie ? ou un mot-clé uniquement réservé à comprendre qu’il est peut-être ‘périlleux’ de franchir ce perron sans y être initié au savoir des Roussillon ?

Béatrix et l’étrange remerciement
Comme il est dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu… cette légende est sans doute fondée sur une réalité représentant « un bien redoutable secret pour qu’il soit ainsi enfoui, et crypté ». On nous dit également que Béatrix, après avoir fondé le monastère de Ste Croix, choisit de finir ses jours, très religieusement, dans l’enceinte des pères chartreux…
L'ouverture par laquelle Béatrix suivant l'office des chartreux depuis son logement
Oui, certes, ce choix est très salutaire pour le bien de son âme, n’en doutons pas. Cependant ce pieux réflexe soulève des remarques. D’abord aucune femme n’est admise dans la partie d’une chartreuse réservée aux Pères. Là encore on nous réplique que Béatrix vivait dans un petit appartement en étage, invisible des pères chartreux. Si l’on observe l’endroit où se trouvait cet ‘appartement’, il ne pouvait être que de très modestes dimensions… et d’un volume bien inférieur à celui d’une cellule de chartreux ! De plus on peut se demander où pouvait bien être les fenêtres éclairant l’endroit où vivait Béatrix ? Tout au plus ces ouvertures ne devaient être qu’étroites et basses… en raison du fait qu’elles ne pouvaient donner qu’au-dessus du toit rampant du ‘petit cloître’. Cet emplacement de maigres fenêtres ne pouvait que permettre de voir le ciel et… le petit cimetière enclavé dans ce fameux ‘petit cloître’ !
Etrange constat que celui-ci : les pères chartreux ont une vue splendide sur la nature environnante et vivent dans une ‘cellule’, qui n’a rien de carcérale puisqu’elle se compose de plusieurs pièces et d’un grand jardin en plein air. En échange leur généreuse bienfaitrice et fondatrice de Ste Croix, une noble Dame issue d’une des plus grandes familles de la région, se trouve reléguée dans une sorte de réduit peu éclairé dont le seul décor est le petit cimetière et un coin de ciel… où elle peut supposer trouver Dieu qui la récompensera largement, en félicité paradisiaque, à la hauteur des épreuves vécues ? Il est difficile de contredire ces remarques en raison du fait que l’on nous montre, dans l’ancienne chapelle des pères (celle aux étranges peintures murales) une ouverture en meurtrière réputée être le guichet par lequel Béatrix suivait l’office des pères sans les voir et sans être vue également par les moines en prière. L’emplacement de cette étroite ouverture montre sans contestation où se trouvait ‘hébergée’ la fondatrice des lieux.
Le petit cloître et son cimetière
Le lourd prix du secret
De plus, à bien regarder cet endroit, la pauvre Béatrix ne pouvait même pas espérer en sortir pour une promenade bienfaisante et hygiénique… car en ce cas elle aurait immanquablement été contrainte de circuler dans le périmètre des religieux… ce que la règle de l’ordre cartusien interdit formellement ! Etrange façon de remercier Béatrix que celle offerte sévèrement par les chartreux… qui ressemble à s’y méprendre à une véritable incarcération… ou tout du moins à une interdiction de circuler, de communiquer, de s’en aller… en un mot la prise totale du contrôle de la gentille bienfaitrice Béatrix de Roussillon ! Certes, là encore cette situation ne peut qu’être une supposition scandaleuse et nous ne pouvons y croire de la part des bons gestionnaires de l’ordre. Nous ne voulons bien entendu, que croire la version officielle, d’une noble dame lasse des vicissitudes de la vie ordinaire, vouant ses dernières années à la prière pour le repos de l’âme de Guillaume de Roussillon et d’elle-même. Une dernière opposition serait de se demander si dans ce secteur il n’y aurait pas eu un cloître ou un monastère de religieuses, mieux appropriés pour recevoir, comme à l’accoutumé, de nobles Dames ? Mais ce serait, peut-être, faire là acte de mauvaise foi ou pire encore : de réalisme ! Pourtant si notre hypothèse s’avérait exacte (et pourquoi pas ?) il faudrait se demander quelles pouvaient être les raisons de cette ‘mise’ au secret d’une Dame de haut rang par les chartreux. Car si mise au secret il y avait, et tout y ressemble, secret il y aurait forcément… serait-ce celui de l’origine ou de la fonction primitive des lieux ? ou celui de l’énigmatique de cette fameuse Pierre du Commencement ?
Les moines chartreux, n’en déplaise à certains, en avaient, peut-être, la garde et la Tradition gravée leur rappelait, si nécessaire, l’importance de la conserver intacte et hors d’atteinte des non initiés à cet intouchable secret. C’est peut-être ce que comprit et mit à jour Polycarpe de la Rivière, prieur de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, au 17ème siècle…

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