dimanche 28 août 2011

La Rabary et l’étrange… «retour à la terre de Ste Croix »


La ferme numéro 13
La Rabary... et la fenêtre de vue sur Jurieu et Marlin
Si l’étrange ferme de la Rabary entrait dans l’histoire insolite de Ste Croix et de ses mystères, elle nous semblait, après ses avatars, s’endormir à jamais sur ses secrets. Le temps s’est écoulé depuis le 17ème siècle et les travaux de Polycarpe de la Rivière. La ferme numéro treize des chartreux de Ste Croix, peu à peu délaissée… s’assoupit lentement dans l’oubli habituel des choses. Trop éloignée des routes, mal desservie, elle est passée au rang de grange, de bergerie, puis de ruines. Complètement abandonnée, c’est dans un triste état qu’elle se trouve aujourd’hui.
Le 29 juillet 1676, ce domaine est mentionné, dans l'aveu et le dénombrement de rentes de la Chartreuse de Ste Croix, sous le titre de "grange". Nous retrouvons d'autres écrits et actes antérieurs à cette date, dont des documents de fermages, signés de Polycarpe de la Rivière et du Prieur Duplessis...
Les heures sombres de la Révolution n’arrangent rien à la situation des bâtiments et du lot de terres attenantes, implantés en cours de pente de la montagne. Cependant, très curieusement, à cette époque, se déroule un événement qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Au dessus, en amont de la ferme, se trouvait une sorte de plateau apparemment artificiel. Ce curieux aménagement, visiblement de main d’homme, semblait remonter à des temps immémoriaux. Cette avancée de terre constituait la retenue d’eau d’une sorte de lagune alimentée par une source captée plus haut dans la forêt.

Que d’eau !
Cette installation semblait toutefois incongrue par le fait que la source était à grand débit alors que plus bas, la ferme de la Rabary disposait de deux puits profonds et d’un bief qui, de mémoire d’homme, ne semblait jamais se tarir. Ajoutons sur le sujet que cette région est extrêmement riche en eau… au point que le barrage de Couzon, en contre-bas de la Rabary, alimente la vallée du Gier depuis la conquête romaine à nos jours sans défaillance.
Apparemment, cette retenue d’eau, bien construite et renforcée par un épais muret de pierres (dont on retrouve quelques vestiges dans les fourrés), ne semblait pas sujette au délabrement ou à une faiblesse quelconque en raison de sa largeur importante et arc-boutée. L’usage de cette lagune n’apparaît pas clairement et on peut supposer, peut-être, une sorte de vivier… inutile, tant la rivière de la vallée était poissonneuse. Certes, les écrits mentionnent, sur la retenue, l’existence d’un four et d’une remise qui, là encore, font double usage avec le four dans la cour intérieure de la ferme forte.

Chronique d’une catastrophe annoncée
Quelques mois avant l’embrasement révolutionnaire, toute une partie des terres de cette butte artificielle a été emportée dans un glissement de terrain avec le four et la remise. Le flot de terre, de ruines et d’eau boueuse s’écrasa contre les murs arrières de la ferme de la Rabary… faisant plus de peur que de mal.
La seule dégradation remarquée fut l’encombrement des terres sous la ferme et la disparition irrémédiable de la réserve d’eau. Certaines personnes dirent que cette catastrophe aurait pu être volontaire, car dans ce qui restait de la remise et du four, aurait été retrouvés les vestiges d’une sorte de vanne pouvant libérer l’eau… dans l’épaisseur du remblais et des murs de soutien. Un tel mécanisme ne pouvait qu’avoir un effet dévastateur, assez lent cependant, sur une large portion de la retenue. Certes, ce qu’il restait encore vers 1960 permettait d’admettre cette hypothèse de sabordage volontaire. Cependant, si le système engageait inexorablement la destruction des lagunes, le torrent de boue ne pouvait être suffisamment puissant pour emporter aussi la ferme de la Rabary. Si toutefois il s’agit d’un acte réfléchi et volontaire, on peut se demander quelles pouvaient en être les raisons. Il n’y eut jamais de réponse…
Cependant, une rumeur devenue légendaire expliquait que les chartreux avaient compris que la Révolution signifiait la fin de toute une longue histoire de la France. L’un d’entre eux, après concertation, aurait eu l’ordre d’activer l’antique système permettant de noyer, ou détruire, à jamais (ou presque) un ou plusieurs éléments devant restés dans l’ombre de l’oubli et du secret… En attendant, peut-être, une récupération discrète par un ou deux pères chartreux ? Hypothèse audacieuse et peu probable si , en effet, un ou deux chartreux n’étaient pas restés, en toute clandestinité, cachés dans ce secteur un certain temps… avant de s’en aller plusieurs mois après. ‘On’ prétend doctement, pour répondre à cette théorie, immédiatement et vertement, qualifiée de romanesque, que ces ‘pauvres chartreux’ ne sachant plus où aller seraient restés à errer tristement dans le secteur jusqu’à disparaître sans que l’on en sache plus…

La lente dégradation
Le 1 juillet 1791, « La Rabary » est vendue en même temps que les domaines de la Croix du Sud, et de la Chapey...
Le docteur Kosciakiewiez rachète cette propriété en 1869...revendue en 1894 à Monsieur Mêliez.
Ce qui reste des bâtiments et des terres, bien plus tard, appartiendra à Madame Veuve Miallon... La Rabary est toujours restée à usage de fermage.

Le choix étrange d’un camp retranché
Pourtant, dans les années 1940, tout peut basculer dans la tragédie...
La France est occupée et la Résistance s’active. A Rive-de-Gier comme ailleurs on s'oppose à l'envahisseur.
Le réseau local reçoit l’ordre, de Londres, de recevoir, puis d'héberger un groupe de hauts responsables recherchés pour leurs activités de Résistants aussi héroïques que discrètes…
Ils sont quatre: deux frères, leur soeur et leur mère. Visiblement plusieurs caches très efficaces sont proposées. Pourtant, curieusement, ils choisissent de s'installer à la Rabary. Sur eux, sur leurs activités, nous sommes bien documentés; cependant, dans un souci de respect de leur anonymat, leurs souvenirs et leurs épreuves vécues, nous tairons jusqu'à leurs patronymes de Résistants... Certains habitants de Rive-de-Gier, sans doute, reconnaîtront les faits et leur véracité. Ce que nous pouvons dire, c'est qu'il est curieux que leur choix se soit porté sur ce site pour se dissimuler: bâtiments dégagés et bien visibles depuis la route sur l’autre versant de la vallée. De plus, un chemin aménagé, d'accès facile, permet d’approcher tranquillement jusqu’au bâtiment pris dans un cul de sac ! Lorsqu’on connaît le palmarès de ces Résistants, leur expérience, leurs actions, leur intelligence et leur niveau culturel, on ne peut que rester interloqué devant une telle décision suicidaire !

Résistance et ésotérisme dans une ferme oubliée
Certes, la vue est étendue tout autant depuis la ferme. Il est donc, en cas de problèmes, facile de "décrocher" par les bois derrière la ferme… Mais, à l’inverse, on peut également se faire surprendre, en embuscade, depuis cette même forêt touffue. Cependant, bien qu’il y ait eu d'autres points de repli, nettement plus discrets et sûrs dans le massif du Pilat, et les monts du Lyonnais... ces chefs de Résistance resteront ici durant près de deux ans, terrés dans l'habitation de la ferme transformée en un ultime camp retranché.
Ceux, et celles, qui les ravitaillent, finissent par mieux les connaître et savent qu'ils sont résolus à rester ici jusqu'au sacrifice de leurs vies.
Ces quatre Résistants sont-ils vraiment venus chercher ici un seul refuge inexpugnable? Si ce fut, selon les ordres, le but avoué, il semble toutefois qu'autre chose ait pu guider leur choix. Il s’agit de personnes indiscutablement cultivées, instruites et même très érudites. L'un ou l'une d'entre eux est professeur de philosophie.

L’étrange sujet de la chapelle des Fous et des roches de Marlin
On attend de ces ‘soldats de l’ombre’, une vision guerrière du retranchement et de leur action. Pourtant, contre toute attente, souvent en lieu et places d’armements et matériels de guerre… ils reçoivent du matériel de dessin ou de peinture à l'huile. De plus, ils se font expédier des ouvrages qui ne sont pas d'instruction militaire ou de maniement d'explosifs, mais... de symbolisme, accompagnés de plusieurs bulletins de liaison d'un mouvement de fraternité hermétique… que nous détenons aujourd'hui.
Au centre de la vue... les Roches de Marlin vues de la Rabary
Quant à la peinture, le sujet favori, reproduit plusieurs fois, est le paysage qu'ils ont dans l'axe de la fenêtre de leur retraite: Jurieu et la montagne de Marlin... Jurieu, dont nous avons déjà fait une approche avec les origines de la fondation de la chartreuse de Ste Croix-en-Jarez. Jurieu dont la vieille chapelle romane est appelée… « chapelle des Fous » sans que l’on ne sache trop pourquoi. Jurieu d’où part un antique chemin balisé de hautes pierres plantées conduisant au sommet de la montagne de Marlin. Le sommet de ce mont où s’achève le fameux chemin se trouve sous le vocable des ‘Roches de Marlin ou Merlin’… dont la pierre principale a pour nom ‘Pierre qui chante’ et sur laquelle nous reviendrons forcément dans un autre chapitre. Le thème à peindre est austère et sombre… peu réjouissant s’il est répété à l’infini. Que cherchaient dans cette démarche depuis la peinture ces quatre personnages de plus en plus étranges et armés ? Qu’espéraient-ils trouver comme action ou apaisement dans ce lourd paysage ? Nous ne le saurons sans doute jamais.
Une inscription étrange
De tous leurs travaux picturaux, heureusement, il resta un vestige.
En effet, l'un d'eux réalise une curieuse peinture murale sur tout un mur de la cuisine de la ferme. Il s’agit d’une oeuvre insolite, par le sujet et sa traduction à la verticale, dans cette ferme numéro 13 oubliée et discrète des anciens Pères Chartreux... Le thème de ce travail important (trois mètres de long pour plus de deux mètres de haut) semble précisé par un court texte encore lisible, il y a quinze ans, à gauche de la scène: « TRAVAUX MULTIPLES DU RETOUR A LA TERRE DE STE CROIX ». Des personnages évoluent à l'intérieur de formes géométriques, aux couleurs enchevêtrées tenues dans un cercle où évoluent humains, animaux et végétaux...
Quels sont ces « travaux multiples du retour à la terre de Ste Croix »? En quoi consistent-ils? Sont-ils "nombreux" ou « multiples »? Et s'ils sont multiples, vis à vis de quoi, de qui, pourquoi le sont -ils?

Revenons au contexte du moment... ces hommes et femmes traqués n'avaient-ils pas autre chose dans leurs esprits, après leurs actions exceptionnelles? Lorsqu'on regarde les lieux où ont vécu des Résistants retranchés, on retrouve souvent des prénoms, des dates, des gravures simples, des sentences, des emblèmes... en face desquels on comprend les états d'âme de ces êtres humains confrontés à des situations très éprouvantes, parfois sans autre issue que la mort... Il semble émaner de la peinture de la Rabary une impression tout autre que celle d'un groupe sur la défensive et en danger constant... Ce retour à la terre ne semble pas être à vocation agricole, écologique ou bucolique. Alors de quel retour s'agit-il, pour, ou sur cette terre de Ste Croix? On peut admettre une lassitude bien compréhensible après des actes héroïques un peu trop répétés… On peut fort bien admettre, en effet, que ces personnes, saturées de violences et d’horreurs, aspirent à un peu de paix avec un… « retour à la terre ».

Ce qu'il reste des peintures aujourd'hui
L’éternel retour à Ste Croix ?
On admettra, tout à fait, qu’il faille quelques travaux pour ce retour. Peut-être des travaux sur soi-même ou des situations précises au moment de la libération de notre pays. Dans un tel contexte, il est parfaitement possible d’admettre ces ‘remarques’ en plusieurs morceaux isolés les uns des autres…
Mais il reste Sainte Croix à expliquer. Peut-être, effectivement, dans un instant de nostalgie on peut supposer l’envie, après les combats, de revenir à la terre de Ste Croix et d’en supposer les contraintes, donc les travaux nécessaires. C’est bien admissible. Seulement, ces quatre personnes viennent de très loin… de l’autre bout de la France, et ont fait le choix de se ‘terrer’ ici. Ils ne reviennent donc pas à Ste Croix… tout au plus ils y viennent ! Il reste l’hypothèse qu’ils souhaitent, la guerre finie, revenir à Ste Croix pour y faire de la culture, de l’élevage… y vivre de la terre.
Dès l’armistice appris, ils resteront encore quelques jours et repartiront sans bruits dans leur région d’origine, très loin des confins du Jarez… Alors pourquoi ce choix souligné de Ste Croix? De quel retour voulaient-ils faire état ? Quelle terre de Ste Croix honoraient-ils par ces symboles et ces mots ? Et tout simplement pourquoi ce choix de la ferme de la Rabary pour contenir ce message à propos de Ste Croix ?
Ste Croix, Rabary, Kasary, Muse, Retour à la terre, les terres des Pères Chartreux… où ont peut-être été cachés, l'an 1788, certains dépôts ou des dépôts certains ! Que nous reste t-il qui nous permette encore d'appréhender un début d'hypothèse ??? Tout le travail est devant nous… car un ultime détail a échappé à toutes recherches et nous en disposons depuis peu.

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