dimanche 28 août 2011

L'entrée majestueuse de Sainte-Croix en Jarez

Un moment essentiel
Le moment essentiel, dont l’importance échappe à tous, lors de la visite de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, est sans doute celui où l’on entre dans l’enceinte de ses vestiges.
Evidemment, personne, pressé de contempler l’intérieur des bâtiments, ne prend garde, ni le temps, de s’arrêter longuement à l’instant de franchir l’entrée monumentale de l’ancien monastère.
Si l’on sait que ce passage est daté du 17e siècle, malheureusement on ignore tout de ce qu’il fut auparavant. Il existait plusieurs accès à la chartreuse donnant dans la première cour et un autre ouvrant curieusement dans le grand cloître réservé aux Pères Chartreux.
Jusqu’à preuve du contraire, il semble que l’entrée principale se soit située là où nous l’empruntons maintenant. Il y avait sans doute, aux origines du monastère fortifié, un large fossé, au pied des murailles de la façade principale, qui en assurait une protection supplémentaire (des vestiges de cette douve ont été retrouvés lors de travaux devant le monastère).

L’épée et le goupillon ?
Peut-être en ce cas existait-il également un pont-levis ou un simple ponton d’arrivée à une porte fortifiée. Nous aurons l’occasion de revenir sur un sujet intéressant, en nous demandant pourquoi le monastère était fortifié… et surtout qui en assurait la défense. Il serait curieux, en effet, de supposer, même un bref instant, les moines armés d’arbalètes ou de mousquets, postés derrière les archères ou meurtrières.
De plus nous pourrions nous poser, avant tout, une simple mais pertinente question : les chartreuses étaient-elles toutes fortifiées d’une manière aussi … dissuasive que celle de Sainte Croix ? Et là encore, en cas de réponse affirmative, nous demander ensuite par qui, dans la mesure où l’on imagine difficilement les moines partager le silence de leur cloître avec les manières, parfois assez bruyantes, d’un corps de garde… sans parler de la situation lors d’une escarmouche ou d’un conflit. Les murs pouvaient-ils être considérés comme la seule défense passive ? et si oui, en ce cas, à quoi servaient les ouvertures de tir alignées sur la façade principale, vers les tours d’angles et de l’entrée ?

Un couloir d’entrée différent ?
Pour l’instant, restons-en à nous arrêter face à l’entrée monumentale de la chartreuse. Une fois dans le passage d’accès, nous trouverons, de part et d’autre, des colonnes à fûts cylindriques prises dans l’appareillage des murs du couloir. Il est évident que ces colonnes ne pouvaient, à l’origine, avoir une fonction de soutien des voûtes ou de renforcement des murailles d’encadrement de l’accès. Si tel avait été le cas, nous aurions, en cas d’usage de colonnes, un appareil à côtés droits alignés ou en légères saillies des murs d’alignements. Par ailleurs, ces derniers auraient été de telle dimension qu’ils se seraient suffis à eux-mêmes sans ajout d’un système de colonnes, fragilisant toujours une construction de ce genre (s’il y a défaillance de la colonne, un effondrement se produit rapidement… ce qui serait ennuyeux au point le plus important d’une défense : l’accès). Peut-être l’entrée était-elle plus étroite… ou disposée différemment ! Aujourd’hui personne ne semble, ni se poser le problème, ni apporter quelques éléments à ces questions intéressantes.
Un décor symbolique
Ce détail ne doit pas nous empêcher de regarder les décors encadrant l’accès majestueux à la première enceinte de la chartreuse. A première vue, le visiteur peut supposer contempler des encadrements d’angles, un linteau en fronton, les ‘armes parlantes’ de Ste Croix, et un décor surmontant le tout… harmonieusement sculptés, mais pourtant anodins. A mieux regarder, il semble, au contraire, que l’ensemble du grand porche ait été voulu comme une sorte de fresque symbolique, d’éléments réservés à des personnalités en mesure d’en apprécier, ou lire, le contenu… comme nous allons le voir d’abord, en reprenant un autre passage de notre « Légendaire chartreux ». Ensuite nous laisserons la parole à Patrick Berlier en ce qui concerne la lecture hermétique du blason au-dessus de l’entrée.
Patrick Berlier est des plus anciens ‘inconditionnels’ du Pilat et de ses mystères. Nous avons avec lui des échanges et des collaborations fructueuses, sur ce sujet sans fin, depuis maintenant près de vingt ans. Patrick Berlier, tout comme nous, n’a jamais cessé de s’intéresser au passé de la chartreuse de Ste Croix et à ses énigmes. Il est donc de bon ton aujourd’hui qu’il ait sa place sur nos colonnes. Nous espérons retrouver ses travaux au long de nos présentations sur le thème de Ste Croix, du Pilat et de bien d ‘autres sujets…
Analyse hiéroglyphique du blason monumental, à la manière de Claude-Sosthène Grasset d’Orcet
Le porche d’entrée monumental de la chartreuse date du XVIIe siècle. La date exacte de sa construction nous est inconnue, les documents qui sans doute l’attestaient ayant disparu. Cette entrée se compose de deux tours rondes, sans ouvertures autres que celles des meurtrières prévues pour de petites pièces d’artillerie. Entre les tours, la façade du XVII siècle percée du porche.
Celui-ci est surmonté d’une niche, qui dut contenir une statue de la vierge, elle-même surmontée d’un fronton triangulaire à pans coupés, tout ça fait dans le style du temps. Les pans coupés du fronton enserrent la base d’une pierre sculptée aux armes de la chartreuse : d’azur à la croix dentelée d’argent, cantonnée aux 1er et 4e d’une fleur de lys d’or, aux 2e et 3e d’une étoile d’or. Les éléments de ce blason ovale ont hélas été martelés, sans doute à la Révolution, et il n’y a plus guère que la croix dont la forme reste visible. Mais ce qui nous intéresse est en fait l’entourage et le support de ce blason. L’ovale est entouré de rinceaux (volutes végétales) composés de rameaux portant feuilles et fruits, il est soutenu par une tête d’ange ailée et deux palmes croisées.

Je vais faire appel, pour interpréter ces éléments, aux règles classiques du « grimoire blanc », variété cryptographique de la Langue des Oiseaux, que je résume en quelques mots. Cet art consiste à trouver des mots à partir d’autres mots, qu’il s’agisse des mots d’un texte ou des mots décrivant une image. On les aligne en style dit télégraphique, sans article ni préposition. Ensuite on ne retient que la structure des consonnes, en éliminant les voyelles, à la manière de la langue hébraïque. On ne tient pas compte des césures. Puis on réintroduit d’autres voyelles, et d’autres césures, pour trouver les mots composant le message secret. On dit que les premiers mots sont les hiéroglyphes des seconds. C’est la valeur phonétique des consonnes qui est importante, ainsi une consonne muette n’est pas retenue. Combat par exemple donnerait la structure consonantique CMB, et encore le M pourrait-il devenir un N, ce qui ne changerait pas la sonorité du mot. Une consonne peut être doublée, ou une consonne double ne compter que pour une simple. CH peut donner la sonorité S, ou C, et inversement. Enfin, il faut utiliser orthographe et phonétique de l’époque concernée, et employer chaque fois que cela est possible le langage héraldique.
A. Douzet, Patrick Berlier et Thierry Rollat devant le portail de Ste Croix
Je prends un exemple simple pour que tout le monde comprenne. Imaginons la phrase « écrit sur une bannière ». Je n’en retiens que les mots :
Ecrit bannière
J’en extrais les consonnes, sans tenir compte de la césure :
CRBNNR
J’ai éliminé le T muet de écrit. Sachant que le C peut donner CH, je peux faire de cette structure consonantique le mot :
ChaRBoNNeRie
On m’objectera qu’une même suite de consonnes peut donner de multiples mots. C’est vrai, mais la nature des voyelles à réintroduire est toujours donnée d’une manière détournée par le support d’origine, qu’il soit une image ou un texte.
Mon exemple n’était évidemment pas anodin, la formule, ou l’image, « écrit sur une bannière » a toujours été le hiéroglyphe de la Charbonnerie, société secrète dite aussi Ordre des Forestiers Fendeurs, connue surtout par sa branche italienne, les célèbres Carbonari. C’est pour cela qu’un Christ portant une bannière, ou un agneau crucifère avec bannière, sont les symboles des Charbonniers, ce sont des hiéroglyphes facilement compréhensibles. Les Forestiers formaient l’un des deux grands ordres occultes de la Renaissance et de l’Ancien Régime, le second étant celui des Gouliards. Ces deux ordres reposaient sur des corporations. Parmi elles, celle des Gilpins, nommée aussi Saint-Gilles, corporation de graveurs suffisamment importante pour appartenir à la fois aux Gouliards et aux Forestiers. Ce sont les maîtres Gilpins qui jetèrent les bases d’une société élevée au-dessus des ordres et des partis, cénacles de beaux esprits et d’érudits, qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle, devait prendre le nom de Société Angélique.

Mais revenons à Sainte-Croix-en-Jarez, et aux trois éléments du blason monumental. En commençant par le bas, comme il se doit, nous trouvons la paire de palmes, la tête d’ange qui se disait chef angel (sans prononcer le F final de chef selon l’habitude de l’époque), les fruits et les feuilles. Chacun de ces trois éléments peut s’interpréter par le grimoire blanc, selon cette déclinaison :
Paire palmes
P R P L M
PaRPoLihoMme
Un homme parpoli était un maître accompli. Ce mot vient de pourpre, car le diplôme de maître que l’on nommait un bref carminé était rédigé à l’encre rouge. Un autre hiéroglyphe du parpoli homme était le papillon, qui en langue provençale se dit parpaillon et offre les mêmes consonnes avec équivalence du N et du M.
Chef angel
CH N G L
SaiNt-GiLles
J’ai transformé le CH en sonorité S, le F muet de chef a été éliminé, et le T muet de saint ne compte pas, pas plus que le S final de gilles. Saint-Gilles est l’autre nom des Gilpins dont je viens de parler. Une tête d’ange ou chef angel est le hiérogramme le plus fréquent des Saint-Gilles.
Fruits feuilles
F R F L
FoRêt FiLle
Les consonnes muettes sont éliminées. L’expression fille de la forêt désignait la société secrète des Forestiers, que Rabelais –qui appartenait aux Gouliards- nommait Farfelus, réutilisant à sa manière les consonnes F R F L. On pourrait trouver aussi forêt fils pour la structure consonantique FRFL, mais ce serait moins puriste en raison du S final de fils qui n’est pas muet.
Fronton sur la grande entrée de Ste Croix
Ainsi l’ensemble du rébus pourrait être une signature signalant un maître accompli Gilpin de la branche des Forestiers. Si l’on poursuit l’exercice, on peut se demander qui était ce personnage : le sculpteur qui réalisa cette pierre armoriée, ou le prieur qui la commandita ? Quand on pense « prieur de Sainte-Croix-en-Jarez » et « XVIIe siècle », c’est bien sûr le nom de Dom Polycarpe de la Rivière qui vient en premier à l’esprit. D’ailleurs, entre parpoli et Polycarpe il n’y a que la différence d’une lettre C ! Et n’oublions pas que les fruits des rinceaux sont bien visibles, il s’agit de baies rondes, non identifiables mais bien présentes. Il y en a cinq de chaque côté, dix au total. Ces « multiples fruits » se diraient en grec polu karpos…
Voici un indice supplémentaire. Les Forestiers appartenaient à la tendance lunaire des Gibelins, parti aristocratique et occulte également connu sous le nom de Ménestrels du Morvan. Ceux-ci se signalaient par un double symbolique mer – vénerie formant le nom Morvan. Précisément, sur les frontispices des ouvrages de Dom Polycarpe on peut observer son blason, contenant des coquilles Saint-Jacques, emblèmes de la mer, et celui de son mécène Balthazar de Villars, contenant un lévrier, emblème de la vénerie.

Qui était Claude-Sosthène Grasset d’Orcet ?
Fantastique érudit, il publia, à la fin du XIXe siècle, plus de 700 articles sur les thèmes qui lui tenaient à cœur : les sociétés secrètes, les forces occultes de l’Ancien Régime, les méthodes de cryptographie dérivées de la Langue des oiseaux. Sa connaissance approfondie de ces sujets lui venait probablement de son père, qui fut sans doute un dignitaire de la Charbonnerie, et d’anciens Gouliards qui auraient révélé les secrets d’un ordre alors révolu. Ses textes furent une première fois rassemblés sous le titre matériaux cryptographiques, et publiés dans les années 80. Ils sont actuellement réédités par les éditions e-dite sous les titres : L’archéologie mystérieuse – Histoire secrète de l’Europe –Œuvres décryptées, chacun en deux volumes.

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