dimanche 28 août 2011

le Site

La mémoire et le lieu
Le site, que nous abordons ici, est sans doute un des plus curieux du massif du Pilat. Il s’agit d’un lieu où se trouvent plusieurs points mégalithiques et qui a pour nom « Les roches de Merlin » … C’est du moins le nom utilisé aujourd’hui, car autrefois cet ensemble portait d’autres appellations. Sur de vieux documents et actes terriers, nous trouvons :
- Jurieu (17ème siècle) ‘Perra jeijean’ et ‘Perjeane’
- Secteur Pavezin (18ème siècle) ‘Roches Baillars’
- Un terrier de Grange-Rouet (18ème siècle) ‘Malet Rocca’
Plus intéressant, nous avons encore sur Jurieu, dans le même lot de documents, un extrait qu’on ne peut pas dater, mais sans doute le plus ancien faisant mention de ‘Pla Rocqen’. Ce nom pourrait provenir du germanique Rocken : fuseau (pour filer)! Cette appellation aurait-elle un lien avec le tissage et les… Blancs qui se cachaient par ici et dont seule une mémoire épouvantée fait encore mention…
Ces autres toponymes s’entendent pour l’ensemble ‘terrier’ du sommet du plateau et non pour désigner un point mégalithique spécifique.
Par contre, en ce qui concerne l’emplacement nommé ‘Les Roches’, dont il va être question plus particulièrement, il est connu depuis les plus anciens écrits locaux sous le nom de ‘Roches de Marlin’… ou quelques dérives incontournables telles que : Malin, Mallin, Malignus et aussi Marlum, Marli et Mattin… Tout ceci devait aller au fil des notaires locaux, et copistes, parfois éloignés et peu à propos de la toponymie locale. Selon ces quelques actes, nous constatons que cet endroit a souvent servi de borne focale à plusieurs propriétés.
Nous connaissons ce lieu depuis plus de 40 ans, à une époque où la forêt environnante montait pratiquement contre quelques uns de ces mégalithes… Il y avait même des sources près de certaines pierres. L’homme et le feu ont fait de cet endroit ce qu’on en voit aujourd’hui : un lieu au décor de garrigue, où tentent de se réimplanter quelques résineux. Les sources, elles, ont irrémédiablement disparu, car plus personne ne les entretenait, faute d’animaux de traits à abreuver.
Silence et superstitions sur les roches
A ce moment-là, personne ne savait l’existence de ces roches au-delà de Ste Croix, et très peu d’habitants locaux en donnaient clairement le chemin. Même Jean Combe, l’un des premiers auteurs à ‘populariser’ l’histoire du passé du Pilat, n’en fait pas mention avec précision… Peu à peu, l’endroit, avec un tel nom, finit par tomber dans la banalité et la curiosité maladive des visiteurs. Les découvertes que nous y avons faites remontent à ces premières visites, et recherches, vers 1967…
Cette ‘distance’ prise vis-à-vis de ce site par les habitants, n’a rien à voir avec une méconnaissance de ces pierres insolites. Au contraire, ils en savaient parfaitement l’existence. La réticence à en faire mention provenait surtout d’une véritable superstition, entretenue par le fait que leurs parents les disaient ‘magiques’, qu’elles se trouvaient dans une forêt… mais surtout en raison de croyances ancestrales et de récits qu’il était difficile de se faire raconter. A cette époque, il n’y avait pratiquement pas de modernisation ou de poste de télévision.
De plus, ceux qui ‘savaient’ se pensaient ‘investis’ d’une jalouse connaissance remontant à leurs ancêtres et aux «anciens rois », nous expliquaient-ils avec crainte et déférence. D’ailleurs, au tout début de nos travaux, personne n’est jamais monté avec nous et il était recommandé de redescendre bien avant la nuit, nous disait-on, en ajoutant un ou deux récits d’hommes ayant rencontré ou été poursuivis par des créatures dont la description seule risquait d’apporter la malédiction ! Les deux sources encore en eaux lors de nos premiers travaux étaient réputées pour le mal aux yeux et les problèmes de reins… et d’autres maux dont le détail relevait de la plus pure tradition magique.
Aussi les habitants des environs, avec crainte, ne s’y rendaient-ils jamais ‘pour se promener’ mais pour y guérir ou attendre un acte pour le moins… magique. Y monter trop souvent, nous disaient-ils, rend la ‘force’ tarissable et moins efficace. Sans doute ces gens simples, mais si près de la nature et ses mystères, étaient dans le vrai…. Quand on voit aujourd’hui les déchets d’une humanité en décrépitude trouvés autour des vieux mégalithes… les sources et les forces ne pouvaient que se tarir à jamais !
Le véritable accès oublié
On accède au plateau des mégalithes par un chemin assez large et depuis le hameau de Marlin… précisément. Quelques anciennes fermes, aux épaisses murailles de pierres sombres, sont craintivement regroupées contre on ne sait plus quelle obscure menace…Au-dessus des dernières bâtisses, une grande croix de bois totalement usée veille encore sur la paix des lieux. L’endroit semble avoir été un refuge certain, car durant les heures sombres de la Résistance, plusieurs de ses guerriers de l’ombre y trouvèrent repos et sécurité ! Maintenant, un autre sentier pédestre permet d’arriver également depuis l’autre versant (Jurieu). Cependant il faut préciser qu’aucun de ces accès n’est le bon ! En effet, aux origines du site, l’arrivée aux rochers se faisait par un antique ‘chemin creux’ planté de part et d’autre de lourdes amandes de pierres. Cette allée ‘magique’ partait de Jurieu, derrière la nostalgique vieille chapelle romane qui avait pour surnom : « chapelle des fous ».
Il y a trente ans, on pouvait encore parcourir des dizaines de mètres en suivant le vieux chemin conduisant au sanctuaire rocheux, et nous en avions pris des photos… Aujourd’hui, pratiquement toutes ces ‘amandes’ ornent tristement des remblais en bords de route ou quelques jardins d’agrément ! De quoi être vraiment écoeuré !
Un site étrange et exceptionnel
Etrange toponyme pour cet ensemble de roches par lequel nous allons commencer à explorer les mystères du Pilat. Ce nom, Marlin, effectivement, voudrait être un dérivé de Merlin ! Parfois, c’est sous ce nom que l’on connaissait le lieu au 19ème et début du 20ème siècle. Il semble que de tous temps, l’endroit ait eu ce nom et que ce choix ait été aussi judicieux, merveilleux, qu’inquiétant.
Les mégalithes composant l’ensemble paraissent occuper le sommet du plateau versant vallée du Gier. On peut dire « paraissent » car il y a de petites implantations ‘à cupules’ de l’autre côté, versant Marlin. Egalement plusieurs autres points rocheux se situent dans les forêts en direction de la vallée du Gier. Curieusement ces autres roches ne sont pas répertoriées…
La totalité des implantations montre une grande diversité de genres mégalithiques. Ainsi nous trouvons plusieurs vestiges de dolmens (au moins trois) et un plus bas en direction de Châteauneuf, quasiment intact, pratiquement inconnu. Cependant, la particularité de ce site immense de dizaines d’hectares se distingue par une incroyable concentration de cupules de toutes dimensions et formes ! Certes, quelques croix souvent à branches égales se trouvent parfois mêlées à ces creux de différentes profondeurs. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il s’agisse de croix christianisant des lieux jugés diaboliques ou païens. Il est également possible que ce signe, aussi vieux que les cupules, ait une signification logique dans la construction énigmatique des tracés reliant entre eux les réceptacles dont la fonction finale reste toujours inexpliquée : dessin de constellations, carte d’une topographie simple, tracé d’un territoire, trace magique d’une emprise de quelques divinités ténébreuses, forme balbutiante d’une écriture ou embryon d’une expression intelligente oubliée ??? Qui peut le dire ?
D’étranges récits courent sur cette partie d’un monde qui n’existe plus. On fait état, forcément du diable portant un lot de roches (peut-être pour paver l’enfer de bonnes intentions ?) et qui, ayant trébuché, aurait tout à coup lâché ses cailloux magiques. Puis d’un autre personnage, également infernal, qui s’assoit (on voit son siège sur le dolmen dans la forêt) afin de débarrasser sa chaussure d’un rocher lui blessant le pied (évidemment on trouve un pied, l’empreinte d’une semelle de chaussure et le rocher précipité au sol,qui en éclatant forme les lieux mégalithiques…).
Quand les chartreux se promenaient vers les roches de Merlin
Et puis… bien entendu, il y a cette toponymie de Marlin provenant de Merlin… De là à penser au Merlin, magicien des romans de la table ronde et conseiller du roi Arthur… il n’y a qu’un pas, que le diable a franchi facilement. C’est encore sur le terrier de Jurieu que nous trouvons vers la roche principale (la Pierre qui Chante) la seconde source du nom de genièvre ou… ‘gueunievre’ ! Là encore, de ce mot au nom de la reine Guenièvre, il y a encore ce pas si facile à faire... que nous ferons dans la très ancienne forêt (qui n’existe plus) qui avait pour nom Lartus… Certes, les grincheux diront que ces noms ne veulent rien dire. Mais à celui qui sait entendre, ces toponymes ne sont-ils pas étonnamment bavards ?
Ajoutons encore que ce périmètre ‘mégalithique’ se trouvait sur le domaine des pères chartreux de Ste-Croix-en-Jarez. De fait, il nous est difficile de croire que d’abord ces religieux aient ignoré l’existence de ces roches païennes… Mais plus difficile de comprendre pourquoi ils les respectèrent, sans en détruire une seule, alors que leurs confrères d’autres ordres s’empressaient de les renverser afin d’exorcisme… et surtout, pourquoi ils entrèrent ce territoire dans le périmètre qu’ils se réservaient pour leur promenade régulière et obligatoire dans la nature. Peut-être pour cette raison les habitants des environs prirent l’habitude de considérer l’endroit sacré et de ne pas y aller sauf obligation de santé… puisqu’il était interdit à tous de se trouver sur le passage des pères chartreux lors de cette promenade obligatoire. Les chartreux auraient-ils eu une raison oubliée, mais impérative, connue d’eux seuls, pour aller ‘s’oxygéner’ autour des pierres du diable ou de Merlin le magicien des romans du Graal… sans les démolir, ni même les ‘christianiser’ ??? Pourquoi pas ?
Un site seulement sacré ?
Sur un plan plus archéologique, nous avons plusieurs remarques à formuler :
- D’abord, un constat assez surprenant pour ce site et ses dépendances maintenant connus de tous depuis longtemps, visiteurs curieux ou officiels. L’endroit a été répertorié lors d’un recensement fait par les services du Parc du Pilat il y a largement plus de vingt ans… Cependant, nous notons que rien n’a jamais vraiment été engagé en matière de repérages complets ou approche scientifique de datation ou sondages… Rien en tous cas de publié officiellement sur le sujet! Ce site unique dans la région n’offrirait-il aucun intérêt pour les officiels ?
- Ensuite, nous étions présents, au début de nos recherches, lors de ‘défonçages’ forestiers dans ces secteurs. Nous avons suivi minutieusement la manœuvre qui pour nous était toutefois un peu révoltante… La majeure partie des sites, versant Gier, Couzon et Marlin, fut approchée de très près par le soc à grande profondeur. Sur un seul lieu, un vestige de feu circulaire (donc intentionnel) a été démantelé. Sur cet endroit, nous avons pu retrouver quelques tessons (éclatés lors du travail !) de poteries antiques, dont une avec un intéressant dessin… et quelques débris de bronze. Aucun ossement dans les cendres. Ajoutons que le foyer était enfoncé par rapport au sol naturel, d’au moins une cinquantaine de centimètres.
- Lors de ces travaux de défrichages, un seul et unique vestige funéraire humain a été démoli (un bracelet de bronze est en notre possession et un bijou totalement illisible). Il semblerait que l’ensemble du site des Roches de Marlin n’ai jamais abrité qu’une seule tombe ‘à tuiles’, et aucune sépulture à incinération ou autre… Du moins jusqu’à preuve du contraire ou d’une campagne de fouille étendue à l’ensemble des lieux. A notre grande surprise, près de cette sépulture, ont été mises à jour deux petites fosses contenant des restes d’animaux, visiblement installés dans une posture, et quelques éclats de poterie. Ces étranges petits dépôts étaient recouverts de pierres plates à faible profondeur, et à moins de deux mètres de la sépulture humaine.
-Ensuite, il n’a jamais été retrouvé de traces d’abris sédentaires. Lors de plusieurs incendies, les périmètres mégalithiques ont été, hélas, entièrement remis à jour en surface. A cette sinistre occasion, pas un seul ‘fond de cabanes’ ou vestiges d’habitations humaines n’a été retrouvé. Nous entendons également par vestiges d’habitations ce qu’il resterait d’une occupation même précaire de bergers ou autres nomades… rien ! Un seul endroit sera sujet à contestation et nous y reviendrons le moment venu.
Avec ces quelques constats, nous pouvons avancer l’hypothèse que l’ensemble du site des Roches de Marlin est un lieu cultuel et non sédentaire ou funéraire. Ajoutons encore que le site pourrait être vierge de tous remaniements au fil des siècles, comme par exemple les dolmens, souvent réutilisés comme tombes sans pour autant en avoir été la destination initiale…
Du calendrier de pierre aux cartes du ciel ?
Il pourrait s’agir, ainsi, d’un endroit seulement réservé à des cérémonies saisonnières, ponctuelles ou régulières… dont nous ignorons tout à ce jour. Peut-être, aussi, pouvons-nous retenir un lieu permettant un calcul de la durée solaire, lunaire ou stellaire. En effet, certains groupes de cupules auraient fort bien pu illustrer schématiquement une constellation ou autre représentation du ciel étoilé : un observatoire ? un calendrier ? une mémoire pour un événement… passé ou encore à venir ? Nous n’oublierons pas non plus une sorte de tracé d’un possible itinéraire ou d’un contour de territoire… Qui peut dire avec certitude le pourquoi précis de ces lieux ayant gardé tout leur mystère… du moins dans l’état des recherches restées à leur plus simple expression.
Dans nos prochains articles, nous reprendrons en détail chaque point des… Roches de Marlin !
André Douzet

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire