dimanche 28 août 2011

La croix indélébile

Le four et la croix
Après notre petite visite aux étranges gravures dans le grand couloir, nous revenons sur nos pas. Nous sortons de la chartreuse de Ste Croix et nous nous présentons dans le local d’accueil et de tourisme. De celui-ci on peut suivre des visites guidées, acquérir des ouvrages et des ‘souvenirs chartreux’.
Si aujourd’hui cet endroit est culturel, touristique et commercial, il n’en a pas toujours été de même autrefois. A l’époque où fut écrit le texte manuscrit (ci-dessous) sur ce lieu, on se trouvait dans une auberge, fort agréable au demeurant. Selon les écrits d’A. Vacher (La Chartreuse de Ste Croix en Jarez –1904) il s’agirait, à l’origine, des locaux abritant la boulangerie des Chartreux. Au centre de la pièce, un seul pilier cylindrique reprend admirablement l’effort de toute la voûte. A gauche, une immense cheminée occupe tout le pan de mur en trois ouvertures sur deux piliers. Nous retrouvons ce type de cheminée, d’une finition plus élaborée, dans la cuisine des Pères Chartreux que nous visiterons un peu plus tard.
Regardons attentivement l’appareillage du mur formant le cœur sous le manteau de la cheminée. Nous y distinguons nettement les traces de l’ouverture d’un four colmaté. Le reste du four se trouvait dans les locaux derrière cette pièce. Il semble certain que ce four était antérieur à la cheminée, en raison d’une évacuation des fumées qui ne pouvait se faire directement dans le manteau… sans dispersion dans la pièce. Probablement l’appareillage du four fut-il condamné au moment des modifications et réaménagements du local avec une immense cheminée. Nous reviendrons plus loin sur cette fameuse ‘boulangerie’ de la chartreuse, car pour l’instant nous allons voir une curieuse représentation cruciforme.

Une croix gênante ?
En entrant nous trouvons, débordant du mur face à nous, entre deux fenêtres, un pilier à pans droits. C’est sur ce pan qu’une étrange croix ‘peinte’ s’offre à la vue de celui qui sait où regarder. En effet, très curieusement, aucun commentaire n’est fait sur ce détail aussi insolite que rare dans son origine et sa confection… et elle n’est signalée nulle part hormis dans nos ouvrages et ceux de Patrick Berlier ! De plus, hélas, à présent, une ‘ravissante’ applique d’éclairage la recouvre en la dissimulant à la vue du public, ce qui est bien regrettable.
Une fois cette applique déplacée, on découvre une croix de couleur sombre peinte à même la pierre du pilier : une croix légèrement pattée sur un socle triangulaire. La branche verticale haute semble se finir avec un tracé courbé, tandis que le triangle de base se poursuit par une droite descendant jusqu’à une tache de même couleur se répandant sur la droite en entourant une sorte de ‘D’ gravé en profondeur.

Légende, réalités techniques et… catharisme ?
La cheminée de l'ancienne boulangerie. Remarquez le vestige du four au fond
La légende raconte qu’il s’agirait d’une croix tracée avec le sang de deux parfaits Cathares venus à Ste Croix. Capturés à leur arrivée, ils auraient été ‘questionnés’ par la sainte inquisition, puis brûlés dans la même journée. Avec le sang de ces malheureux, les dominicains auraient tracé une croix sur ce pilier, bien à la vue de tous, en guise d’avertissement de ne plus accueillir d’hérétiques albigeois. Cette croix de sang serait restée indélébile. Nous savons que le sang animal (donc aussi humain) chauffé prend des propriétés le rendant indélébile. Il aurait été utilisé dans l’Antiquité pour marquer les pierres de constructions pour les assemblages sous intempéries. Est-ce dans un but technique que ce système fut utilisé… ou à d’autres fins ? Jusqu’à ce jour plusieurs tentatives furent faites pour effacer ce signe étrange … sans le moindre succès ! Est-ce un détail à la fois technique et insolite qui fait que personne ne souhaite aborder le sujet de cette croix de sang ? Toujours est-il qu’elle veille encore sur son énigme avec la même ténacité. S’agit-il vraiment d’une marque faite en raison de la présence de Cathares dans la région ? Au départ rien ne permet de l’affirmer, encore que certains lieux gardent une toponymie pouvant être en raison d’un souvenir ‘catharisant’. Nous prendrons pour exemple des anciens lieudits « les blancs » ou « bonshommes »…
En ce qui nous concerne, nous retiendrons seulement que nous sommes, dans ce local, en présence d’une croix tracée avec du sang, rappelant les deux principes sang et croix du ‘cube reliquaire’ et de la croix cylindrique de même fonction… et le vampirisme combattu par un rite chartreux à Ste Croix. Nous verrons bientôt un autre détail de considérables dimensions offert à la vue des visiteurs sans, évidemment, qu’en soient donnés les détails à retenir en matière insolite de sang et de croix ! Un autre regrettable oubli, sans doute !
Mais écoutons ce que raconte la légende à Sainte-Croix-en-Jarez à propos de cette marque mystérieuse :

Quand boulangerie et Gouliards font bon ménage
Maintenant retenons également la fonction de boulangerie indiquée par A. Vacher pour ce local. Si l’on entend boulangerie, on comprend aussitôt ‘four à pain’. Cette réflexion est logique, mais peut également déboucher sur une autre vision du problème. Si nous retenons un aspect pratique d’une base de nourriture qu’est le pain, depuis qu’il existe pour l’homme, nous pouvons également faire une autre approche plus symbolique ou hermétique : celle de la langue oiselée ou verte, en reprenant cet étonnant passage des écrits de Grasset d’Orcet en la matière:
« …Et ces golliards héritiers des Templiers nous ramènent à leur signe de croix à hauteur de la bouche : la croix de gueule, la croix rouge, la croix de sang (c’est nous qui soulignons) !Ils l’appelaient « tombeau du pain gaufré ». Ainsi ils nommaient ce que nous appelons encore traditionnellement le pain à chanter ou pain enchanté. Le pain azyme des anciens. L’objet correspondant est la poêle à frire … Le peuple de Palestine lui vouait un culte et une vénération sous la forme d’une pierre plate, idem en Limousin qui lui donna en premier son nom de « poêle à frire »… peut-être peut-elle servir à tester ceux qui « savent » ? Lorsque la poêle n’était qu’une pierre plate elle était posée sur deux autres pierres debout, du feu dessous et l’on cuisait sur le dessus… Si l’on ferme l’arrière on obtient le four… qui cuit… le pain ! et si l’on ajoute que les gouliards entre-eux s’appellent les « four-maçons » connaisseurs de l’antique tradition du « pain qui chante » et s’il fallait aller plus avant nous pourrions ajouter que les maçons savaient construire les voûtes en latin « fornix », en français « four ». Encore, ne donne t’on pas le nom de four ou frise à la pierre plate appelée architrave et qui réunit en linteau deux piles ou colonnes… d’un temple ? En outre les églises chrétiennes ne se terminent-elles pas en un ou trois fours appelés « absides » ce qui revient à four en grec… »

Là encore, dans ce local de Ste Croix, la légende et la tradition ont pris le pas sur la réalité symbolique. La mémoire a intimement mélangé les éléments et en a conservé un récit horrible et macabre, seul capable d’impressionner le souvenir à long terme. Supposons simplement que l’on ait mémorisé ces affluences périodiques de « fort-maçons » dont on a retenu que ce sont des limaçons ou coquillards… des escargots ! Ces escargots pris au sens de « Cagots », tout d’abord, étayent et justifient cette croix indélébile dans le récit « fabuleux ». Au second degré, cette croix faite avec du sang devient la croix de gueule, croix rouge, signe des Gouliards héritant du Temple une certaine tradition.
Un lieu où l’on pratique le pain qui chante… et le repos
Ces mêmes gouliards se réunissent comme « four-maçons » dans le lieu de leur second symbole où il y a le four, qui lui, enfin, fournit le pain qui chante !
Une autre légende tenace pourrait bien se rattacher à ce récit : celle des pèlerins de Compostelle qui font un large détour pour aller se recueillir à Ste Croix. Geste pieux, certes, mais inhabituel sur ce chemin St Jacques qui traverse Rive-de-gier, où la chartreuse de Ste Croix possède une maison d’hospitalité. Ce détour n’est mentionné sur aucun itinéraire habituel… Quelques légendes persistantes relatent que ces pèlerins venaient ici de très loin et certains, épuisés, malades, seraient morts à Ste croix (on a retrouvé les restes d’un homme enterré avec des coquilles ‘St Jacques’ près de lui dans le cimetière du « petit cloître)… Légendes, récits sans fondement, contes pour crédules… Et si, là aussi, il y avait confusion ? Confusion entre les pèlerins revenant de St Jacques avec leur coquille et les… coquillards ? Coquillards s’arrêtant pour se chauffer, épuisés, près du four… et se réconforter l’âme en consommant le pain qui chante ?
Pourtant sur ce chapitre nous avons un élément quant à l’usage primitif de cette boulangerie. Nous pensons que le lieu pouvait avoir la fonction d’hébergement des visiteurs masculin. En effet nous sommes là dans le premier local acceptable à gauche de l’entrée principale de la chartreuse. Ce local fait le pendant avec celui de droite (là où se trouve à présent un grand restaurant) qui était l’hébergement des dames… Un lieu hospitalier ne pouvait-il pas correspondre à l’idée d’une étape essentielle et reposante pour les fameux… « four-maçons » ?

La pierre qui chante… et enchante?
Le pilier circulaire central
Bien entendu tout ceci ce serait une hypothèse bien fragile et sans véritable fondement… Si Polycarpe de la Rivière n’avait laissé deux lettres écrites par des frères gouliards et adressées à Ste croix, Chartreuse. En ajouter plus est inutile. Nous retiendrons à propos des pierres supportant une troisième qu’elles pourraient bien illustrer une sorte de dolmen… comme celui des « Pierres de Marlin » (ne surtout pas confondre avec le pseudonyme d’un individu n’ayant rigoureusement rien à voir avec ce site) au dessus de la Chartreuse et de la fameuse chapelle de Jurieu (dite « des fous ») déjà signalée dans notre travail sur la légende de fondation de la chartreuse de Ste Croix. La pierre principale de ce site exceptionnel à pour nom « la Pierre qui chante ». Nous verrons, lorsque nous l’étudierons, qu’elle ‘enchante’ plus qu’elle ne chante… La similitude entre les toponymes des lieux environnants Ste croix, et les liens avec le savoir des gouliards, est effectivement à retenir sérieusement. Enfin nous ajouterons que l’itinéraire suivi par Béatrix de Roussillon pour parvenir à Ste Croix depuis Châteauneuf passait obligatoirement par ces deux sites de Jurieu et « les Roches »…

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