dimanche 28 août 2011

les étranges "croix reliquaires" de Sainte-Croix en Jarez

Une des plus étranges légendes, concernant la chartreuse de Ste-Croix-en-Jarez, est sans doute celle relative à une tradition oubliée, liée au sang humain. Evidemment, ceci peut paraître insolite. Encore plus insolite s’il est question d’une tradition dont nous avons eu connaissance, vers 1979, par une communauté de religieuses de Sainte-Catherine-sous-Riverie, village situé à l’opposé du Pilat, sur la rive gauche du Gier. Il y avait, dans les archives de cette communauté, des documents anciens, relatifs aux différentes interventions, qu’elle pouvait, selon ses besoins, demander aux prêtres alentour. Hormis les différents offices et besoins religieux habituels ou courants, il y avait des événements étrangement répertoriés, et pour le moins inquiétants, pouvant exiger une rapide assistance.
Les vampires en Jarez
Depuis 1640, il semblerait que les chartreux aient disposé d’un étrange pouvoir dont il pouvait, à discrétion, faire usage – pour eux ou les communautés religieuses des environs – en cas de besoin : celui de combattre par l’exorcisme les vampires humains ! Le rite tombé en désuétude, les chartreux en auraient confié la mémoire à ces religieuses qui en auraient pris soigneusement notes. Nous avons eu entre nos mains ce vieux registre ‘des utilités et consignes’. Cependant, hormis l’information du rite lui-même, il n’était rien dit sur la nature, les lieux où pouvaient sévir ce phénomène terrifiant. Nous pouvons cependant avancer que si un tel pouvoir existait réellement, il ne devait forcément pas être confié à n’importe qui. Sur quels critères le choix fut-il porté initialement sur les Pères Chartreux de Ste Croix ? La brève notice ne le dit pas. Il ne reste que le texte et les gestes devant l’accompagner. Dès notre premier contact, nous n’avons pas osé demander à consulter le texte du registre, mais il avait été recopié avant de nous être confié. Ce n’est qu’en 1995 que la Mère principale, à la retraite dans une maison religieuse de Lyon, nous donnait un peu plus d’explications sur différents sujets à propos de Ste Croix et ses réflexions concernant cet étrange texte d’exorcisme (nous avions inclus celui-ci dans deux de nos ouvrages) :
-« faire une incision en croix sur la porte du domicile ou sur un bois neuf. Dire à ce moment : Par la permission du bienheureux Saint Sion +, Saint Vanien+ buveur de sang, buveur de sang, buveur de vie+ de quel venin que tu viennes, je te conjure de disparaître par où et d’où tu as frappé+++ Par la verte veine de Notre Seigneur Jésus-Christ+ je te conjure+ t’arrête et dissocie+++ ».
Cette formule se récitait en latin, puis il y avait aspersion d’eau bénite confectionnée sur l’instant à cette seule intention. Cette opération se répétait trois jours de suite et une dernière fois le vendredi suivant.
Ce genre d’exhortation pourrait tout simplement passer pour un élément folklorique, ou une forme de prévention superstitieuse mise en place afin d’impressionner, ou montrer la large puissance des interventions divines, tout en sachant que l’évènement à combattre n’était que pure invention.
Cependant, à mieux regarder, nous pourrions considérer, en annexe à cette ‘curiosité’, l’excellent travail de Stéphane Chalandon « L’Ourse et le Dragon », où il est également question de rites oubliés du sang, liés au vampirisme. Or s’il y a un lien commun entre Ste Croix et le Roussillon par le biais de ses premiers seigneurs (Béatrix étant une dame de Roussillon par alliance et fondatrice de Ste Croix), pourquoi n’y aurait-il pas des ramifications de ces attaches sur d’autres plans similaires… comme nous le savons pour les découvertes du prieur Polycarpe de la Rivière, par exemple ? Ce rite, pouvant nous sembler totalement aberrant, pourrait en réalité avoir bien d’autres significations, oubliées maintenant, mais bien plus profondes et logiques qu’une vulgaire et improbable traque aux vampires… si tant est qu’il faille, avant tout, définir le sens profond de ce mot maintenant significatif de film d’horreur et d’hémoglobine !

Le sang
En ce qui concerne la chartreuse de Sainte Croix, nous allons, au fil des semaines, constater que d’autres éléments contenus en ses vénérables murs pourraient bien avoir des approches curieuses avec le sang, sous différentes formes, anodines à priori. Cependant, une accumulation de détails ‘sanguins’, étroitement liés à la vie ou à la mort, ne serait-elle pas une série de balises sacrées mises en place pour mémoriser un autre événement… ou se rassembler en un lieu tout à fait approprié à ce genre de vénération particulièrement difficile à ne pas laisser dériver de manière malsaine, ou incomprise à la longue… Comme un culte de la vie, de son origine (le sang), dérivant et déviant en un rite hérétique, voir diabolique, dès que l’on en a perdu le sens et le pourquoi…
La perte de ces informations – étrangement au siècle où Polycarpe de la Rivière est justement prieur à Ste Croix – aurait-elle quelques analogies avec une sorte de quête ‘d’un’ Graal ? Ou de détails oubliés dans l’enceinte de la Chartreuse même ?

La Mère Principale de cette communauté religieuse, qui détenait ce petit registre ‘des utilités et consignes’, nous avait par ailleurs ajouté quelques détails sur divers objets sacrés de Ste Croix que les religieux avaient mis en sécurité aux moments troubles de la Révolution… Nous reviendrons sur ces détails plus tard en nous demandant où ils ont pu passer ou qui aurait pu les récupérer, mais nous pouvons ajouter qu’il s’agissait justement d’un ou plusieurs calices chartreux … donc peut-être un élément suggérant un récipient, une coupe, un graal ? Ou peut-être le sous-entendu d’un phénomène lié au sang par le biais de la transsubstantiation et le miracle renouvelé de la transformation du vin en sang… divin ?
Et de sang il est question en plusieurs moments et lieux de la chartreuse de Ste Croix sous différentes formes (Nous reprendrons ces sujets indépendamment) :
- Nous avons tout d’abord cette légende étrange sur les vampires… buveurs d’un sang vital pour leur survie.
- Ensuite nous verrons une croix indélébile dans le local d’accueil des touristes. Il est dit qu’elle fut tracée avec du sang humain…
- Les fresques de la chapelle des pères retiendront aussi notre attention avec de curieux détails liés à la scène du Christ sur sa croix… ‘en bois vert mal ébranché’ et des éléments relatifs à certains calices.

La pierre cubique
Où l'on voit l'orifice et l'importance du cube tenu à la main
Enfin il a été trouvé un étrange morceau cubique, de croix, agrémenté d’une étrange cache… puis un autre ayant la même fonction, mais de section cylindrique, et toujours sur le site de Ste Croix… ou plus précisément dessous.. C’est par le premier élément que nous allons commencer notre périple de sang dans le passé de la chartreuse de Ste Croix.
Au moment de sa découverte, l’objet est apparu comme une sorte de cube pratiquement régulier. Ce n’est qu’à l’étude que nous avons compris qu’il s’agissait en vérité d’un morceau de bras de croix à section carrée.
La mise à jour se déroulait dans ce qui était le ‘petit cloître’, donc le vieux cimetière jouxtant l’église. Au pied d’un mur limitrophe, l’étrange cube reposait à peu de profondeur.
Si la découverte fut rapide et facile, il est à noter que jamais ne fut localisé le reste de la croix de laquelle il devait provenir. La question, à ce jour, reste entière : le ‘cube’ avait-il été mis ici sciemment, jeté, perdu ? Sans réponse à ces interrogations, nous pouvons nous demander ce qu’est devenu le reste de cette croix… et surtout pourquoi ce vestige se trouve à Ste Croix.
Les inscriptions retrouvées sur les faces carrées permettent de voir qu’il s’agit de la branche gauche d’une croix dont nous ne savons rien… Sur une face se trouvent le début de deux brèves rangées de lettres. Au verso une gravure représentant un cercle et deux lignes s’en allant vers ce qui devait être le centre de cette croix. Celle-ci était-elle plantée en terre, commémorative, mortuaire, rituelle ou… destinée à d’autres vénérations oubliées ? Nul ne peut le dire.
C’est en nettoyant cette pierre que son ‘inventeur’ s’est aperçu qu’une des lettres gravées sur une face l’était plus profondément que les autres. En effet, sur ce que nous appellerons arbitrairement la face ‘avant’, on trouve deux très courtes lignes incomplètes de lettres sculptées.
La première rangée: une sorte de ‘D’ ou ‘Q’ avec une cédille, suivi de ‘I’ (sans certitude) et probablement un ‘O’ descendant jusqu’à la ligne du dessous. Cette lettre incomplète permet de penser que le texte se poursuivait horizontalement.
La seconde rangée : PROI ou PROF, le reste se trouvant sur la partie manquante.

A face arrière du 'cube' notez le tracé circulaire
Au nettoyage il apparaît que la première lettre est d’un tracé ‘carré’ très profond. En le grattant il devient évident qu’il s’agit d’un ‘bouchon’ dissimulant une sorte de cache. Avec d’infinies précautions ce dernier d’abord bouge imperceptiblement, puis sous la traction d’un scalpel il finit par se soulever entièrement en libérant un orifice carré et profond d’une dizaine de centimètres. Il s’agit effectivement d’une petite cache fermée par un bouchon de section non pas carrée mais très légèrement trapézoïdale. Le fond de cette pièce se termine par un tampon en argile de moins d’un centimètre d’épaisseur. Sur ce fond d’argile on lit quatre barres tracées en profondeur… et aucune autre gravure sur cette partie qui se trouve dissimulée une fois le bouchon refermé.
Au fond de l’orifice il doit y avoir quelque chose de bien précieux pour un tel appareillage. En vérité, à l’examen, au fond de la petite cavité il n’y a qu’un peu d’une matière brune, comme feuilletée. Une analyse fut faite sur cette matière d’aspect étrange. Il s’agit d’une petite quantité de sang humain desséché… il fut même possible d’en définir le groupe sanguin.
Quelle pouvait être le but d’une telle cachette si bien dissimulée dans une branche de croix exposée à la vue de ceux qui pouvaient passer devant ? Etait-ce une croix prise dans un ensemble funéraire ? Une pierre tombale ‘miraculeuse’ ? Un reliquaire particulier ? Nous n’avons rien trouvé en archives : culte à ce genre d’élément sur Ste Croix, rite de vénération lié à une relique extérieure, souvenir ou mémoire d’un événement notable sur un personnage justifiant un reliquaire de sang, objet miraculeux ? Il est impossible de dire quoi que ce soit d’officiel sur ce sujet dans l’état actuel de la situation.

Une étrange relique
Cependant, nous pouvons tout de même admettre nous trouver en présence d’un reliquaire dans le principe de cet objet. Il faut également noter que généralement il ne semble pas, à notre connaissance, qu’il y ait un précédent de ce type en matière de croix reliquaire extérieure chartreuse. Cependant, une fois de plus, il faut ajouter que l’absence d’information ne signifie pas que nous soyons en présence d’un cas unique… la suite nous montrera que non.
Le 'cube' de pierre retrouvée à Ste Croix
Une croix de ce genre, dans le cimetière d’une chartreuse, pose un problème si l’on reprend ce qui semble être une règle en la matière car : « Une simple croix de bois, sans aucune inscription, protège la tombe des Chartreux ; on donne par exception, une croix de pierre aux Supérieurs Généraux : c’est là une marque de respect à leur égard… ». Dans ce texte la présence d’une croix comme celle retrouvée à Ste Croix n’a pas sa place, pourtant il a été retrouvé une croix de pierre au nom d’un haut responsable de l’ordre, lors de travaux de réfection dans cette chartreuse. Elle porte ces mots :
V-P.
DBRUNO
FVZEAU
PRI
OR
HV
IVS
Il s’agit de la croix tombale de Dom Bruno Fuzeau qui fut prieur à la Chartreuse de Sainte Croix en 1745. Donc nous pouvons dire que les prieurs de cette Chartreuse eurent des croix en pierre. On note une similitude entre ‘notre’ cube avec une lettre ‘D’ (Dom ?) en début de branche de croix à gauche, et les lettres suivantes. Une autre rangée de lettres, moins hautes que celle du dessus, suit au dessous en commençant également sur cette branche. La ressemblance est frappante mais s’arrête à ces détails, le ‘D’ du début (signifiant ‘dom’) ne dissimulant aucune cache pour cette croix entière.
Nous serions donc en présence d’un vestige funéraire dédié à un Supérieur Général ou un prieur ? Cependant nous ne trouvons nulle part un écrit mentionnant un possible culte du souvenir ‘physique’ des Chartreux, comme la vénération d’une relique, du moins pour l’un des leurs et en tous cas pas sous la forme d’une insertion dans une croix de cimetière ou d’extérieur. Ce point est quasiment certain. Mais alors le problème reste entier pour une autre raison. Le lieu de la découverte est au pied d’un mur dans le ‘petit cloître’. Or on apprend que ce lieu, lors de son déblaiement par les archéologues, s’est avéré un cimetière de laïcs. Si un tel reliquaire pose déjà un problème dans le cas de sa présence dans un cimetière réservé aux chartreux, il en pose un autre plus important s’il est disposé dans un enclos funéraire de l’enceinte des Pères… destiné à des laïcs. Il y a là plusieurs questions auxquelles il est difficile d’apporter une réponse.

Le cube et bouchon où l'in distingue les 4 traits en creux
Nous avons vu que cette relique semblerait un cas très isolé, pour ne pas dire unique, en milieu cartusien. Or nous en avons retrouvé une seconde, une vingtaine d’années après, dans des décombres sous les murs de la chartreuse. Il s’agit là encore d’un reliquaire enchâssé dans une croix, mais de section cylindrique cette fois. Retrouvée brisée en plusieurs morceaux, au milieu de gravats, nous avons toutefois pu en reconstituer une grande partie. Nous reviendrons, une autre fois, sur ce second support que nous présenterons avec un dossier photo. Cependant nous pouvons dire les similitudes entre les deux objets :
- Système de fermeture et d’étanchéité identique pour les deux.
- Même aspect de la matière au fond du réceptacle… du sang humain desséché
- La cache est cependant circulaire dans la croix cylindrique. Son ‘bouchon’ comporte également un ‘tampon’ d’argile au contact de la ‘relique’.
- Il y a également une gravure sur la partie d’argile, mais elle représente une croix à branches égales.

Deux ‘croix reliquaires’
Une croix en pierre à section carrée trouvée à Ste Croix
Deux ‘croix reliquaires’ pour cette seule Chartreuse, c’est tout de même beaucoup ! C’est vraiment trop pour un objet que l’on ne trouve nulle part ailleurs sous cette forme ou similaire! Ste Croix était-il un lieu unique pour une raison ignorée ? Un lieu de culte pour un rite ‘reliquaire’ dont nous n’avons plus trace, et si oui pourquoi, pour qui et par qui ? Il sera là encore très difficile de répondre à ces questions. Toujours est-il que depuis la défense contre les vampires… en passant par une croix indélébile faite avec du sang (nous en ferons la présentation plus tard)… jusqu’à d’étranges détails sur les peintures de la chapelle des pères… cette accumulation ‘sanguine’ commence à faire beaucoup d’exception pour un tel lieu que l’on voudrait nous montrer… si paisible et sans énigme !
Nous verrons au chapitre suivant que les petites gravures retrouvées sur le fond des ‘tampons d’argile’ (le carré dispose de quatre barres et le cylindrique d’une croix régulière) des deux reliquaires pourraient s’identifier à des signes similaires tenus sur un ensemble de signes sculptés en un lieu bien visible de Ste Croix. A suivre donc…

André Douzet

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