dimanche 28 août 2011

cimetière des Pères Chartreux 4ème partie : de la "planche à cul" à aujourd'hui


La faillible mémoire des hommes
Aujourd’hui, on s’affaire dans l’ombre, en forme de secrets de Polichinelle, à la recherche de ce que permettait de pressentir de nombreux détails oubliés. On s’affaire et on cherche. Tout d’abord, on fait sienne la stratégie du loup voulant entrer dans la bergerie aux bien alléchantes brebis. On fait alors patte de velours et on aborde le problème par des détours remarquables mais anodins et sans intérêt sinon de mettre un pied dans la place. Le reste devrait suivre facilement, du moins on l’espère. Seulement, en ce qui concerne Ste-Croix, il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir et nombreux sont les requins à s’y être cassé les dents…
En effet, il est simple d’espérer trouver des indices en fouillant dans la mémoire des gens mais bien plus difficile d’en tirer assez de conclusions pour arriver au but. La mémoire des vieux habitants se résume à ce qu’ils ont pu remarquer dans leur vie sur ce secteur. Hélas, le contingent de ceux qui ont vu, volontairement ou non, se transforme malheureusement en peau de chagrin ; ceci dit sans parler des personnes qui habitèrent les lieux bien avant l’intérêt pour les points importants, ou qui le deviendront une fois qu’il sera trop tard, c'est-à-dire au lendemain de la Révolution Française. Il est vrai que ce qui est aujourd’hui un gibier de choix… ou de roi… était à ces époques sans le moindre intérêt tant les gens avaient d’autres soucis nettement plus vitaux. Et c’est ainsi que l’oubli s’est fait en deux grandes séquences.
La première, de manière matérielle, s’est laconiquement déroulée dans la vie et les impératifs de chaque jour… Nous savons qu’après la Révolution l’ensemble des bâtiments de la Chartreuse a été vendu à qui en voulait, et que ce fut le début d’un naufrage lent mais inexorable pour ce vaisseau pourtant fait pour affronter le temps. Les nouveaux occupants détruisent sans vraiment vouloir détruire, mais surtout pour adapter un lieu de prière, de silence et… de savoir aux impératifs d’une vie paysanne. Et le cloître éclate pour mieux laisser passer les chars et machines agricoles… Le passage couvert suit le même chemin sous prétexte de laisser le passage libre aux tombereaux… Les strictes et sévères cellules deviennent des lieux de vie, de bruits, de modifications profondes… Là où un homme vivait seul et ordonné, une famille de sept et huit individus envahit le périmètre sans le moindre ménagement ni respect pour ce qui fut l’endroit de la méditation et de la connaissance. Peu à peu, dans les demeures, les cloisons naissent, les refends s’écroulent, les sous-sols ateliers deviennent au mieux des débarras… au pire d’innommables réduits d’immondices. Dehors, la situation n’est guère meilleure car le fumier envahit peu à peu le périmètre du silence et de l’infini… C’est la fin d’une époque… autre temps, autres mœurs !
Au fil des effondrements, on trouve bien parfois sous la pioche une cavité, une sorte d’obscur passage vite mis sur le compte d’une adduction d’eau, de l’écoulement d’un égout de toiture ou autre, d’un vide plus ou moins sanitaire.
Et puis, on enterre les morts dans le cimetière extérieur, et non dans le petit enclos comme le prétendent doctement nos scientifiques de service, car on a peur à cette époque. Oui, on a peur du passé !!! On a peur de ce que l’on a entendu dire ou prétendre… Alors, on évite les verrous mis en place par les derniers maîtres du lieu au moment de l’affligeante débâcle, et on esquive prudemment certains endroits, au point même qu’en parler devient tabou. Il restera pour les suivants des bribes vaguement récupérées çà et là au gré des propos de grands-parents évoquant d’autres ancêtres d’autres temps révolus. Et les lieux s’effacent ainsi en entrant dans l’ombre complice du passé de Ste-Croix-en-Jarez.
Chanson d’autrefois… et or des fous
Il reste cette mémoire aussi persistante qu’une vieille rengaine dont on n’arrive jamais à entièrement se débarrasser et qui nous hante sur un ou deux couplets tout aussi incomplets que les bribes rescapées du refrain. De l’auteur ne reste rien, tout comme des circonstances nous ayant imposé cette lancinante empreinte.
Ce dont il ne fallait pas se souvenir des tréfonds de la Chartreuse en Pilat est son ultime chanson finissant de s’effilocher avec les générations. Alors un chercheur, ou prétendu tel, s’enquiert des veilles ‘paroles et musique’ des pierres souterraines de l’endroit. Certes, on nous répliquera que, entre une rengaine et la réalité, il y a un monde. Et c’est vrai si on ne s’intéresse pas au chant ancien mais, en ce qui nous concerne, nous considérons une chanson comme autre chose qu’une mélopée, du moins sur le thème du Moyen-âge. En effet, nous avons choisi volontairement cet exemple, ce parallèle, car une chanson n’est pas dans cette forme un chant mais un récit souvent épique ou chevaleresque, comme celui d’un certain Girard de Roussillon qui peut nous enchanter. Quant au chant hermétique de Ste-Croix, ce qu’il en reste aurait une sale tendance à plutôt nous désenchanter qu’autre chose.
S’il reste tout au plus une dizaine de personnes de la génération pouvant avoir su ou aperçu un indice conduisant sur les traces du cheminement interne de la « planche à cul », c’est un maximum ! Sur ce nombre, en considérant les seuls habitants du village, nous savons fort bien qu’un seul est arrivé, fortuitement, jusqu’au seuil permettant l’accès au niveau correspondant… mais ne l’a pas franchi. Ensuite, il reste un second témoin qui, lui, est allé un peu plus loin… et C’EST TOUT ! Aujourd’hui, quelques chercheurs s’obstinent à tenter le ‘forcing’… en s’agitant dans tous les sens à la recherche du témoin qui leur donnera le bon indice. Et des indices, on en remonte au cours de cette pêche au filet traînant ! Ils ont cet éclat qui donne l’espoir… mais pas la teneur ; un peu comme la pyrite donne l’apparence d’une pépite d’or mais n’est, en réalité, que… l’or des fous !
Le caravansérail de Raymond Grau
Au corps défendant de ces acharnés de l’impossible, les raisons d’erreurs sont simples à comprendre, une fois que l’on connaît les morphologies, superficielle et profonde, du site. Tout le côté sud-ouest est construit sur un vide correspondant à une forte déclivité du terrain naturel. Les bâtisseurs durent monter de hautes murailles pour rattraper le niveau zéro des deux cours… C’est du moins ce qui paraît ou est dit, mais nous verrons plus loin que la raison est peut-être ailleurs, différente, mais tout aussi logique !
Au moment des appareillages, le choix fut fait de ne pas remblayer l’intérieur, de laisser un vide conséquent afin que le mur ne soit d’une formidable épaisseur, indispensable à retenir une masse instable de remblai. Ce vide, nous l’avons vu, fut utilisé pour poser les ‘décharges’ de poussées conséquentes. Les vides ainsi constitués en ‘parties techniques’ sont récupérés sous forme de caves ou, mieux encore, de magasins, comme le suggère Raymond Grau qui découvrit, sur les lieux, de larges raisons d’étayer ses hypothèses… en baptisant une partie de la Chartreuse du nom de ‘caravansérail’… c'est-à-dire, comme il l’expliquait judicieusement, un lieu souterrain capable de recevoir des réserves, chargements en dépôt, stockage, attente, échange…
Les niveaux se suivent mais ne se ressemblent pas
Ces étages en sous-sol sont bien connus des habitants, et il n’y a nulle gloire à retrouver et localiser ce que tout le monde sait sur, et surtout ‘sous’, le site. C’est ainsi que sont plus ou moins répertoriés les détails du premier sous-sol en usage actuellement et ne recelant pas le moindre lieu secret, oublié ou passage dérobé de la même eau. Ce niveau est par ailleurs bien établi sur les relevés d’état des lieux et archives notariales (on en trouve de très belles et anciennes dans quelques documents notariés du secteur ripagérien). Jusque là, aucun mystère et nos joyeux chercheurs enfoncent à bouts de bras des portes grandes ouvertes ! Sans regret, nous passons donc à présent au second sous-sol… Comme le veut la tradition, plus on s’enfonce dans les entrailles de la terre, plus l’homme ressent la présence du mystère éveillant en lui un imaginaire débridé.
Ici, par contre, les choses changent car les relevés sont un peu moins conséquents en entrant dans le domaine de la propriété privée souterraine. Il est vrai, par exemple, que des parcelles ne se chevauchent plus précisément pour un même lot, expliquant qu’un propriétaire peut avoir sous sa cave la partie d’un local qui lui est étranger. Rien de bien extraordinaire, en vérité, car ces locaux ‘sous-sols’ qui, après la Révolution Française, passent entre des mains laïques, n’appartiennent à personne en propre mais à la seule entité de la Chartreuse en tant que bâtiment unitaire. Ceci explique qu’il ne pouvait y avoir de problème de propriété sur une partie ou l’autre de tout le bâti cartusien, et donc pas de suspicion ou détail d’arbitrage d’un local. Le premier sous-sol était pratiqué par les moines devant y accéder pour des raisons pratiques, comme la cuisine par exemple, disposant de réserve ou rangement dans l’espace sous cette dernière… que nous connaissons tous pour y être descendu plusieurs fois. Aujourd’hui, cet espace est interdit au public alors qu’à l’époque de Raymond, les expositions ouvertes à tous s’y déroulaient dans une ambiance formidable.
Deuxième sous-sol
L’étage d’en dessous, si nous pouvons nous exprimer ainsi, était plus difficile d’accès et, de fait, réservé à des visites plus restreintes. C’est ainsi que nous entrions dans un domaine déjà plus intéressant mais encore connu de nos jours. Nous voulons ici parler de locaux contenant des détails architecturaux moins communs, telle une grande cheminée pour le moins incongrue à ce niveau. Cependant, nous sommes encore ici dans les parties connues et visitées, ne serait-ce que par les autorités compétentes, ou incompétentes, en matière de locaux reconnus par les Monuments de France… pour ne citer que ceux-ci. Cette cheminée, si elle reste intrigante, n’en est pas pour autant inconnue et il n’y aurait pas là de quoi amorcer une hypothèse ou fouetter un chat. Pourtant, nous retenons le fait que cet appareil architectural soit cité çà et là comme une curiosité… sur laquelle nous reviendrons un plus loin.
Ce niveau est cependant nettement plus proche de derniers éléments oubliés, et nous sommes très étonnés que les ‘je sais tout sur Ste-Croix’ n’aient fait les observations suivantes… un oubli qu’ils répareront sans doute prochainement, n’en doutons pas, pour notre plus grand bénéfice.
Si nous prenons la hauteur des deux étages souterrains connus sur ce même côté, nous pouvons, en l’ôtant à celle totale de l’extérieur, constater qu’il reste encore un manque conséquent pour arriver tout en bas. En visitant ces ‘caves’, nous voyons que leur largeur est constante pour les deux étages. On peut en conclure que la déclivité est proche de l’à pic mais peut, cependant, changer au-dessous et se montrer plus douce. Par ailleurs, les bâtiments destinés aux Pères chartreux s’alignent quasiment dans le sens longitudinal du monastère, alors que les jardins avancent, de leur largeur, carrément en extérieur de cet alignement. Si le vide se prolongeait jusqu’au pied des murs, il laissait aux constructeurs de quoi faire largement un troisième niveau souterrain sans le moindre problème.
Et de trois !
C’est ce troisième étage qui échappe au contrôle et à la connaissance de tous, sauf à celui d’une poignée de personnes ayant toutes des raisons d’avoir voulu, à une époque ou une autre, en savoir un peu plus. De toutes façons, il existe une manière simple de vérifier nos dires, sans tout démolir ou violer des propriétés privées, qui consiste tout simplement à faire des clichés I.R. depuis l’extérieur et de lire ces vues. Soit elles révèlent un vide longitudinal sur toute une longueur et nous avons raison… soit elles ne signalent rien qu’un compact amas de remplissage et nous conviendrons de nos torts. Cependant, au moment d’aller plus avant, nous pensons indispensable de signaler que le dédale qui nous concernera n’est pas dans l’étroit espace formé au long de ce mur de soutien. En réalité, s’il se trouve bien à ce troisième sous-sol, il en est totalement indépendant, nous tenons à le préciser.
La loi 1/3 du ‘milieu’
Maintenant, nous allons aborder la seconde partie de notre observation. Arbitrairement, on peut couper le plan du monastère en trois grandes fractions distinctes : d’abord la première cour, dite ‘des laïques’, ensuite la partie assurant la jonction avec la seconde cour, et enfin cette dernière ayant fonction de cloître des Pères chartreux.
En réalité, ici, deux de ces morceaux sont à prendre en compte, bien que dans un premier temps, nous allons seulement nous consacrer à ce que nous appellerons la partie ‘intendance’ : administration, cuisine, cellule du prieur, archives, bibliothèque, église, etc. En effet, ce n’est plus un secret pour personne, maintenant qu’autorités et ténors ont fini par faire leurs les affirmations de Raymond Grau, que le monastère chartreux superpose un ensemble de constructions primitives oubliées. Ces dernières, implantées ici depuis bien avant l’arrivée des religieux, mais pas forcément méconnues de tous, comme nous l’affirmions il y a des décennies déjà, étaient en forme de forteresse de moyenne importance si on considère leur superficie. Ce sujet, d’ailleurs, a été abordé sommairement plusieurs fois dans de précédents articles.
Il est facile, depuis n’importe quel plan de la Chartreuse, de vérifier que cette partie assurant la liaison entre les deux cours est désaxée au point de pratiquement être orientée sud nord, en comparaison des deux autres portions (les deux cours) quasiment dans le même prolongement. Le premier réflexe est de se demander pourquoi cet exceptionnel décalage alors qu’il était simplement facile de s’aligner sur l’ensemble. Ce raisonnement semble logique si on admet qu’il soit difficile de supposer deux ‘saisons’ différentes, une au centre et les deux suivantes de part et d’autre.
L’axe, le centre et l’œil du prieur
Le raisonnement que nous tenons est le suivant face à cette interrogation… dont tout le monde se fiche ! Nous pensons que ce ‘centre’ est primordial et ne pouvait être démoli ou modifié pour plusieurs raisons. On a, de fait, laisser ce tronçon tel qu’il était pour adapter les deux autres selon une autre direction. Si on étudie de plus près ce ‘centre’, on voit immédiatement qu’il contient des ornements plus anciens que les deux cours visiblement plus récentes. C’est tout simplement que nous sommes sur le cœur du passé du lieu, qu’il était impératif de conserver ainsi. Cette sauvegarde s’est faite pour de strictes raisons, du moins dans ses fondements, car des modifications pouvaient révéler ce qui ne devait l’être à aucun prix. Pour ces impératifs discrets, brutaux et froids, l’essentiel fut maintenu et le reste des bâtiments installé tout autour, pendant que chaque nouveau prieur veillait sur l’essentiel à préserver. Dans cet essentiel, nous entrons en vrac les archives, la bibliothèque, l’église, la cuisine, un emplacement devenant la mairie après les convulsions révolutionnaires, et enfin le point de vue depuis sa cellule d’un lieu précis situé à l’extérieur du monastère.
Le monde coupé de celui des profanes
A ceci, nous ajoutons ce qui permet la jonction entre tous ces lieux stratégiques, c'est-à-dire le couloir entre les deux cours… ainsi que l’escalier accédant à l’étage des archives bibliothèque. On note que les locaux réservés aux visiteurs sont inclus dans ce périmètre… Et cette mesure a de quoi nous interpeller car, dans les archives du monastère, on peut lire que ces personnages ne sont pas forcément des Chartreux… voire des religieux.
On trouve dans cette liste des laïques ou des autorités civiles. Certes, certains rangs distinctifs permettent des traitements de faveur. Cependant, si l’on regarde de plus près cette ‘cellule hospitalière’, on la trouve coupée du monde ‘extérieur’ puisque disposée au-delà de la porte séparant le monde profane de celui des religieux ! Comme, de l’autre côté, une autre porte condamne la partie ‘cloître’, on est surpris de supposer qu’une portion puisse être isolée entièrement et dans laquelle se retrouvent retranchés, le cas échéant, les visiteurs, le prieur et son (ses) officier(s)… Si ces messieurs ont quelque chose à faire de discret, à part se ruer sur les réserves de provisions de la cuisine, ils peuvent le faire en toute quiétude et hors des regards inutiles, même involontaires, à la fois des bons Pères et des laïques ! On ne peut faire mieux en matière de sécurité et de discrétion.
Passage ouvert depuis le cloître
Mais ce n’est pas encore tout à propos de cette portion sauvegardée de la Chartreuse. La cour du cloître est également une pièce rapportée ou du moins largement modifiée. Or, un détail ne surprend personne, une fois de plus. Il s’agit du passage permettant de passer vers l’extérieur par un large couloir situé sous les bâtiments et donnant sur des jardins qui, à l’époque, ne devaient pas exister, du moins considérés dans ceux tenus par les Pères. Il y a là un anachronisme étonnant… qui n’étonne personne. Comment admettre un périmètre spirituel fermé à tous, sur lui-même et encore plus sur l’extérieur, avec un passage direct y conduisant? On nous a répondu doctement que ce couloir permettait aux religieux de pouvoir sortir directement, le jour de leur promenade, en direction du ‘spaciment’. Certes, la réponse a de quoi tenir la route, à première vue. Mais, à mieux y réfléchir, nous savons qu’il était imposé aux laïques et journaliers de se détourner des Pères lors de leur sortie… et les voilà qui peuvent se trouver tous nez-à-nez en sortant de manière impromptue dans des jardins ! Enfin, on sait que le monastère fut également ‘pensé’ pour se refermer sur lui-même aux moments des périodes troubles, comme les temps de guerres de religions ou autres désagréments de tentative d’assaut… Comment alors supposer qu’on ait mis le site en fragilité avec une porte facile à détruire, donnant dans le seul endroit tenu par des hommes dont la passivité belliqueuse est de règle ? C’est une incohérence formidable sur tous les points.
Passage vers le ‘spaciment’ ou une barbacane
Pourtant, il nous reste une solution plausible. Nous revenons aux périodes pré-cartusiennes et au moment où le monastère n’est encore qu’une petite forteresse sur un passage peu fréquenté. Si ce bastion est en retrait, une barbacane en défend l’entrée principale qui se trouverait au nord est. Un passage avancé est facile à surveiller et à défendre s’il est, de plus, taillé étroitement dans un couloir rocheux. Ici, l’ennemi ne peut se ruer en nombre et se trouve de plus ralenti, voire stoppé, si les défenseurs sont en surplomb et bien à l’abri derrière le poste avancé. Ce passage n’est pas supprimé au moment de l’arrivée des Chartreux et reste comme une ouverture vers d’innocents jardins… Nous pouvons, depuis un document retrouvé dans la région stéphanoise, comprendre qu’il y avait une première défense en forme de ‘basse-cour’, ou chemise sommaire, des époques carolingiennes et plus anciennes encore, au moment où le lieu n’est encore qu’une sorte de… motte féodale. Ensuite, le fort se situe sur la partie désaxée, défendu par une solide porte en poterne restant en gros de murs, tel qu’on peut le voir encore aujourd’hui au moment de passer de la cour du cloître au passage de liaison. Plus tard, lorsque des fouilles ne manqueront sans doute pas d’être faites dans la cour des Pères, les archéologues retrouveront un fossé sec devant cette entrée maquillée en franchissement du cloître.
Il n’y avait pas de donjon proprement dit pour ce bastion mais simplement un bâtiment massif défendu par de hauts murs avec une chemise sur l’avant et l’arrière. Ce qui pourrait faire office de ‘place du gouverneur’ se trouvait en retrait vers le réfectoire des Pères. En observant bien le moment où la première cour se raccorde au couloir, on devine aisément un second fossé sec, hâtivement comblé pour laisser libre passage à ce premier périmètre, qui fut toujours celui des laïques même aux époques primitives, et le sanctuaire…
Escalier vers le savoir
Enfin, comme nous n’avons pas envie de perdre l’avance documentaire sur ces éléments, nous ne donnerons pas nos sources qui cependant doivent être faciles à trouver pour nos sympathiques ‘poursuivants’, grands spécialistes en ‘cartusienneries’. Nous ajouterons seulement, pour clarifier un peu plus nos affirmations, que dans cette partie retranchée se trouve cependant le fameux passage permettant à la ‘planche à cul’ de suivre son périple vers le royaume des morts. Ce passage est loin de tout ce que peuvent imaginer les ténors en la matière. Pourtant, si ce détail dut rester oublié, ou des plus discrets, certaines personnes spécialisées en architecture ancienne, dépendant de l’autorité, finirent par comprendre la logique du problème de passage. ‘On’ se servit donc des prétextes de travaux d’aménagement et réhabilitation de ce secteur de la Chartreuse. A cet effet, on mit un terme radical au local, déclaré insalubre, dont nous avons fait état dans nos précédents exposés… c'est-à-dire vers l’escalier monumental. Un élément est toujours extrêmement difficile à déplacer ou détruire en termes d’ancienne construction : l’escalier. En effet, le plus souvent, cette pièce d’architecture prend appui sur les murs et les marches sont enfoncées profondément dans les appareillages. Détruire cet appareil met les murs en fragilité notoire et personne ne prend ce risque, d’autant plus que cette construction reste admirable dans son exécution en ce qui concerne Sainte-Croix. Donc, radicalement, l’initiative fut prise de tout casser à cet endroit afin que rien n’en subsiste…
Oui… mais il reste qu’au moment des travaux quelqu’un eut l’autorisation de prospecter à la recherche du passage… qu’il trouva. Et cette personne, extérieure aux officiels, et non rémunérée, put rester des plus discrètes sur ce qu’elle avait constaté et en faire part à qui de droit.
Aujourd’hui, on aura beau faire et dire tout ce qu’on voudra, personne ne pourra jamais plus accéder au passage depuis la partie transitoire de la Chartreuse… d’abord en raison du fait que les personnes l’ayant vu, ou pressenti, étaient déclarées instables mentalement, ensuite puisque tout a été comblé irrémédiablement, et enfin parce que ce passage unique ne se déployant pas vers la cour du cloître se dirige bien au contraire vers la première cour des laïques… là où personne ne l’attend et à une profondeur correspondant à un troisième niveau de sous-sol !!
A notre connaissance, une seule personne eut des soupçons très prononcés vers cette possibilité, et ce fut un de ceux les plus convaincus du renouveau aseptisant de la Chartreuse de Ste-Croix-en-Jarez ! Non seulement il en eut des soupçons, mais il en eut des preuves scientifiques, mais rien jamais ne se fit en matière de prospection dans cette direction… Peut-être, prudemment, a-t-on jugé plus prudent de tout étouffer plutôt que de tout révéler ; pourquoi pas, si une telle découverte remettait tout en cause dans le classicisme de cette Chartreuse qu’on nous veut montrer anodine à tous prix?
Petite visite de courtoisie à Thibaud de Vassalieu
A présent, posons-nous une autre question. Cette fois, il s’agit de Thibaut de Vassalieu, dont le personnage est prétexte à la peinture murale, ou fresque, de l’ancienne chapelle des Pères. Nous allons tenter de faire un petit survol, forcément non exhaustif, de faits s’y rapportant. En annexe, nous joindrons un résumé d’éléments concernant ce personnage, qu’il est utile d’observer ici sur plusieurs points.
Thibaut de Vassalieu est un généreux donateur pour Ste-Croix qui vient de naître. Il apprécie ce monastère à tel point qu’il décide, s’étant démis de ses fonctions d’archidiacre, d’y finir sa vie et s’éteint dans ces murs, le 4 juillet 1327. Evidemment, il n’est pas le seul bienfaiteur de cette Chartreuse, loin s’en faut, mais c’est un des premiers, hormis la famille de Béatrix… et un des rares personnages qui ait eu le privilège d’avoir sa sépulture dans la partie la plus ancienne qui nous intéresse ! Le terme ‘rare’ concerne forcément les défunts n’ayant pas directement fonction, ni titre, au sein de la communauté cartusienne. Pour cette dernière, évidemment, le cimetière leur est grand ouvert.
Cette exception notée, nous pouvons nous poser une autre question. Puisqu’il n’est pas moine, ni Père ou officier, il ne peut logiquement occuper une des cellules ouvrant dans la cour du cloître. On ne peut non plus supposer qu’on l’ait relégué dans la partie des laïques… bruyante et peut-être pas très digne de son rang. Hé oui… il nous reste, une fois de plus, la possibilité d’un logement dans la partie la plus ancienne de la nouvelle Chartreuse. Certes, l’homme donne encore beaucoup de matériel, mais il en est une partie qu’il se réserve, comme, par exemple, tout un lot de matériel permettant de s’exercer à l’art difficile du grand magistère !
La chasse aux alchimistes
Or, nous avons là de quoi être un peu surpris puisqu’au début de ce XIVe siècle, il ne fait pas bon pratiquer l’alchimie sans craindre les foudres célestes et surtout celles de la très sainte Inquisition qui vient de se faire la main, et parfaire sa technique, sur les chevaliers du Temple ! Si l’Inquisition est passée maître dans l’art d’écraser les suspects, même et surtout s’ils sont innocents, il faut également souligner que les religieux en général sont tenus de dénoncer ceux, et celles, qu’ils soupçonneraient de s’adonner au Grand Œuvre, forcément diabolique. Serait-ce à dire que Thibaud pratique son vice en cachette de ses amis chartreux ?... ou encore que ces derniers sont complices en ne le dénonçant pas ?... ou mieux encore, qu’ils le laissent sombrer dans la science démoniaque… sous réserve d’assister aux petites séances récréatives ou… lucratives ?
Passion pour le grand œuvre à Ste-Croix ?
De plus, on imagine mal notre alchimiste amateur faire son petit feu dans la grande cheminée de la cuisine des Pères… Cela ferait tout de même désordre ou jaser à l’extérieur car, ne l’oublions pas, il reste toujours l’ombre des fagots suspendue à cette croix indélébile inscrite sur un pilier de… la boulangerie ! Oui, cette boulangerie où se trouve la seconde grande cheminée de la Chartreuse de Ste-Croix ! Et nos joyeux détracteurs d’entonner à ce sujet qu’une cheminée n’est pas incongrue pour une boulangerie… et nous répliquerons que nous mettons quiconque au défi de cuire du pain dans une cheminée à foyer ouvert ou tout au plus on peut faire des galettes. Et puis, il est impossible d’imaginer notre personnage traversant la première cour, sous le regard des laïques, en traînant tous ses ustensiles et produits, pour aller assouvir ses passions en compagnie du boulanger… Ce constat est aussi valable pour le local opposé près de l’entrée majestueuse, et qui, lui, est réservé à réchauffer les visiteuses féminines un peu frileuses, les jours d’hiver. Là non plus, on voit mal Thibaud chauffer son athanor devant de belles dames effarouchées en la circonstance.
Il faut donc supposer que Thibaud, s’il pratique vraiment, ne peut le faire que là où il est, et surtout pas dans la cuisine ! Une cheminée dans son appartement serait jouable, mais nous savons quelle dimension elle peut avoir et l’appareillage est loin d’être suffisant pour accomplir la cuisson de l’œuvre.
Alors ? Et bien, alors, il nous reste la monumentale cheminée au second sous-sol ! Car on ne peut imaginer non plus les cuisiniers chartreux pratiquer les ragoûts et cuissons d’aliments, pour une trentaine de personnes, dans un souterrain, à l’abri de la lumière du jour et des curieux. Si l’art consommé du gratin et du bouillon poireaux-carottes n’est pas condamnable pour sorcellerie et peut donc se pratiquer au grand jour, certaines autres cuissons sont un peu plus répréhensibles… répréhensibles et dangereuses parfois. En cas de mauvaise manipulation, s’il y a émanation ou explosion, dans un deuxième sous-sol les choses n’ont guère de conséquences immédiates sauf pour l’opérateur, mais c’est là une autre histoire ! Alors, pourquoi Thibaud n’aurait-il pas opéré dans ce local équipé pour ce genre d’expérience ?... car enfin, il faudra bien un jour ou l’autre nous expliquer ce que fait cette cheminée en ce lieu complètement incongru pour elle. Il nous reste bien entendu la solution qu’elle était là dans un local qui n’était pas enterré… au moment des anciens bâtis primitifs qui seront recouverts par ceux de la Chartreuse définitive ! En ce cas, hypothétique Thibaud le sait de loin, ou d’avant, et s’y rend pour y œuvrer en paix, parmi ses vieux complices, pour qui il sait se montrer si généreux.
Toujours est-il qu’il fut important pour les Pères puisque la seule peinture murale de tout le monastère lui est dédiée de manière pour le moins ésotérique, n’en déplaise à nos sympathiques adversaires. Par contre, un détail mérite d’être ajouté à la suite de cette mémoire picturale faite pour traverser le temps pour le plus grand plaisir des yeux connaisseurs. En effet, si rien n’est fait pour trop cacher la présence de Thibaud de Vassalieu, bienveillant donateur, on est pour le moins étonné de lire qu’il n’apparaît pas sur la liste des bienfaiteurs de l’Ordre chartreux… Un regrettable oubli, sans nul doute !
L’intervention de ce dignitaire, non des moindres, marque un peu plus l’importance de cette portion de bâtiments souvent considérés comme des communs de services ou administratifs. Nous pourrions en rester là sur ce propos. Pourtant, nous tenons à préciser que les réflexions au sujet de Thibaud, pour nous, prennent bien plus d’importance qu’il ne le paraît, et nous avons mis ici des éléments dont la portée ressortira dans les chapitres suivants…

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