dimanche 28 août 2011

la Chartreuse de Sainte-Croix : Articles 2

L’ombre du passé de Sainte Croix et les médias
Le 26 septembre dernier, nous entrions un premier article de journal régional de la vallée du Gier, extrait du quotidien ‘Le Progrès’ du 6 février 1963, à la page Rive-de-Gier.
Nous poursuivons donc la parution de cette série par un second article, publié le vendredi 3 mai 1963, qui fait suite au premier.
Encore une fois, il ne semblera pas au lecteur que les médias de l’époque apportaient du grand nouveau en la matière. Cette impression est perceptible avec la vision que nous avons maintenant sur la révélation du passé de Sainte Croix et particulièrement en ce qui concerne ceux, les premiers, qui se consacrèrent sans compter à faire sortir de l‘obscurité ce fabuleux vestige du passé des contrées du Massif du Pilat.
Nous voudrions souligner que cette mémoire, portée par ce vaisseau de pierre formidable, est à multiples facettes. Celles-ci vont des aspects religieux et communautaires de ceux qui choisirent à jamais le monde silencieux de la réflexion méditative loin du monde… jusqu’à ceux précisément qui permirent l’éclosion d’un tel milieu, dont l’existence est impossible sans les moyens financiers d’autres acteurs parfois encore plus voués au silence que les moines eux-mêmes. Bien entendu, nos pensées vont vers l’ombre de quelques Guillaume et Béatrix de Roussillon qui s’engagèrent, l’un jusqu’au sacrifice de sa vie, l’autre, fidèle épouse, allant jusqu’à se laisser emmurer vive dans ce navire de foi naviguant aux confins d’un savoir imprononçable… Ils sont d’autres, plus obscurs encore, dont l’histoire ne put même retenir les noms parfois secrètement effacés par les volontés du sacré et du temporel… Ils sont d’autres encore plus oubliés, si faire se peut, à avoir payé de tant de manières différentes le tribut pour cette plongée au cœur des ténèbres du savoir impossible… Enfin, ils sont encore trop nombreux ceux, et celles, volontairement ou non, qui participèrent à cette odyssée secrète et sans issue… Combien sont-ils les Polycarpe de la Rivière, Roussel Guiscart, Urbain de Salance, Chartreux ou laïques dont les identités mêmes ont été bannies, à avoir été emportés par les tourbillons entourant d’obscurité les premiers instants de cette forteresse qui devint vers la fin du 13e siècle celle du secret et de la foi ?… Ils sont encore nombreux, n’en déplaise à ceux qui se veulent bien pensants parce que catholiques ou scientifiques, à avoir porté la croix pattée d’un Ordre maudit ou la patte d’oie jaune des Cagots et Cathares, ou à avoir ployé sous la malédiction tombant sur les hérétiques indomptables qu’ils étaient… et qui, tous, apportèrent leur pierre ensanglantée à cet édifice cartusien échoué sur les récifs d’une contrée dont on a voulu effacer l’identité propre jusqu’à celle de ses premiers seigneurs !…
Tous ceux-ci, femmes et hommes confondus, participèrent de leurs deniers, leur bravoure, leur savoir, et trop souvent de leur vie, à l’édification de cette coque de pierre refermée sur un sombre et peut-être dangereux passé, dont seule une poignée de ‘connaissants’ eut le privilège… et dont les héritiers abâtardis croient encore le détenir pour eux seuls.
Les derniers inconditionnels pionniers du Gier et la bulle de plexiglas…
Cette galerie, de portraits et de faits, était logiquement vouée à l’épais manteau couleur de poussière de temps et à la méconnaissance du commun et de nous tous rassemblés… si une poignée d’autres inconditionnels ne s’était élevée contre les tas de fumier, la décrépitude, l’indifférence destructrice de la sottise humaine vouant le lieu à un irrémédiable démantèlement.
Ces inconditionnels de la renaissance de Sainte Croix-en-Jarez, ancienne Chartreuse, venus de la vallée du Gier, s’attelèrent sans compter à cette tâche, se faisant les dignes héritiers des premiers maîtres d’ouvrage et d’œuvre de ces vénérables bâtiments. Ces derniers pionniers y allèrent à leurs tours sans compter de leurs deniers, du désaveu, des moqueries et enfin de l’oubli de ceux qui, en parfaits envahisseurs s’accaparent, comme si c’était coutume, leurs travaux, efforts et patience démesurée à rassembler les lambeaux d’archives et savoir d’un passé disparu corps et bien.
Aujourd’hui, le village monastère n’attend plus qu’à être finalement mis sous vide et subir une ultime ‘pasteurisation’ le désinfectant des derniers miasmes de vestiges parlant, à voix imperceptible, aux derniers chercheurs d’absolu et vérité. On se promène parfois un 30 octobre dans un milieu clos où règnent les nouveaux maîtres que sont les cordeaux, glaces, ciment, ordre horizontal, pancartes en plastique… et le règne du vide de toute vie de première recherche.
On s’attend à se trouver là sous une bulle de plexiglas et à être retourné une fois ou deux puis replacé soigneusement à plat pour que neige, sur ce décor de cartusienne carte postale fade et glacée, des flocons d’insipide plastique aseptisé. A ce décor d’opérette ne manquent que les fleurs et pourquoi pas des arbres en plastique afin que des feuilles mortes ne viennent tomber et orner, de trop chaudes couleurs d’automne, un si beau paysage javellisé.
Le jour ordinaire du 30 octobre
Ce 30 octobre, tout est fermé… on ne visite pas !!! On circule car il n’y a décidément plus rien à voir. Un ou deux cris d’enfants, pointus comme un fer de lance médiévale, résonnent sous le couloir d’accès à la seconde cour… puis là, c’est un abbé (peut-être l’ombre d’un Béranger Saunière, Gelis, Boudet, Bigou ?) en soutane qui traverse au pas de charge, tête baissée contre le vent, la cour du grand cloître… sans bréviaire, il a les mains au plus profond de ses poches.
Encore une ou deux ombres sombres sans sourire, sans « bonjour »… mauvais jour pour Ste Croix ! Autrefois, le visiteur pouvait entrer librement dans l’église, s’y imprégner des derniers échos d’un chant de moines, ou d’un autre venu du plus loin de certaines roches dites de Marlin… On ne chante que sur commande touristique maintenant, et encore un peu l’été à Ste Croix… d’ailleurs, si on n’y chante plus, on n’y enchante plus non plus, et tout au plus y désenchante-t-on à tours de bras!
Ce 30 octobre… le cœur ne bat plus au rythme des mystères et des chaleurs humaines…Tout ici est fermé car on clôt même le passé qui maintenant est soigneusement endigué et purgé de tous faits insolites vérifiables… On ne voit plus rien… Le soir tombe comme pour soulager le malaise ressenti sur cette place réglementée, aux pavés de ciment. De vivant, il ne reste là que le dernier faible battement de cœur provenant encore d’un café ouvert, sur un autre monde et un autre temps, par on se sait quel miracle… et puis c’est tout.
Une suite bien connue
Et alors ?... nous diront, à juste titre, les lecteurs ne comprenant pas ce brusque saut d’un article de journal de 1963 à ce 30 octobre de l’an de grâce quelconque. A ce sentiment bien normal d’incompréhension, nous en viendrons à nouveau à ces personnes qui crurent, comme des croisés s’en allant la nuque raide vers quelques croisades perdues d’avance, en lançant leur appel à l’espoir au fil des colonnes d’un journal ripagérien.
Ils y croyaient dur comme fer d’arme à leur action de sauvegarde. Ils y croyaient car leur bonne volonté était déjà appuyée par la Commission Rurale d’Aménagement du Territoire et autre Comité d’expansion cantonale… Hélas, on connaît maintenant l’affligeante suite!
Dès les énormes travaux bien salissants exécutés, quelques années plus tard, ce fut la prise de pouvoir par les sacrosaints bien pensants qui firent leurs ces travaux en les finalisant encore des années plus tard en fermant, contrôlant et effaçant tout…
Aujourd’hui, Ste Croix ne se visite plus qu’au pas cadencé de groupes dûment constitués et emportés dans une visite solidement guidée et encadrée, d’où est exclu le moindre aspect ne serait-ce que symbolique… Quant à tout ce fabuleux reste que nous savons, autant ne pas même y penser car la trappe est ouverte, béante en permanence à ce qui n’entre pas dans le droit fil des autorités en matière de marche à leurs pas et à aucun autre… « sans cadence ».
En regardant une photo nostalgique…
En regardant cette photo illustrant l’article de Jacques Fontaine, on y voit encore plein d’espoir et de foi en leur action messieurs Vallette, Combe et notre vieil ami Raymond Grau… Celui-ci, qui fut quasiment le pionnier contemporain de Ste Croix, habituellement montré en combinaison de chantier, est ici ‘fixé’ pour la postérité dans une rare vue en costume et cravate… Que penseraient ces hommes et ces femmes s’ils revenaient avec nous ce 30 octobre… au fil de cette traversée du désert qu’est devenu ce qu’il voyait comme un lieu de vie et de passé vivant car insolite aux… couleurs si mystérieusement humaines ?
Que dire de plus, en forme de provisoire conclusion, que ce que l’auteur de l’article écrit en forme d’involontaire gageure : « Aucune œuvre humaine n’est exempte de critiques, aucun aménagement ne se fait sans bouleverser certaines idées préconçues, mais devant le désintéressement des Amis de la Chartreuse de Sainte Croix-en-Jarez, on est certain que jamais une difficulté ne surgira sur la longue route à parcourir. S’il en était autrement, ce serait à désespérer de la compréhension humaine »… En ce dernier jour d’octobre, à la table de ce dernier café ouvert à Sainte Croix-en-Jarez, la fin de ce constat médiatique aurait de quoi nous imposer le désespoir et le rouge de la honte… de ce rouge dont les autorités compétentes n’empourpreront jamais leur front.
André Douzet
 

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