dimanche 28 août 2011

Un tableau symbolique dans la chapelle


Venir à St Sabin, y ‘monter’, n’était jamais un acte gratuit, mais toujours un acte réfléchi, en forme de queste surnaturelle, religieuse ou superstitieuse… voire magique. Certes, on y venait pour les pèlerinages, mais aussi pour y trouver le réconfort et la certitude de l’inavoué parfois, comme nous le verrons plus tard.
Il y avait bien les deux statues (et d’autres disparues maintenant) illustrant l’attention de l’invisible, deux représentations, l’une de l’autorité religieuse souvent inaccessible, et l’autre du ‘berger’ à l’image de tous ceux qui … allaient à St Sabin. Mais, à mieux regarder ces sculptures, à la fois naïves et complètes dans leur symbolisme, nous voyons se dessiner le fait qu’elles ne sont peut-être pas forcément l’illustration finale de l’attente des voyageurs vers l’absolu. Au-delà des pèlerins habituels et ‘réguliers’, d’autres visiteurs montaient dans une attente plus… ésotérique. St Sabin possédait, en effet, une autre ouverture vers l’invisible de la foi.
De part et d’autre du maître autel, les deux statues encadrent, en réalité, une représentation bien plus riche en symboles cachés que le profane ne sait voir… et dont, d’ailleurs, personne ne l’en informe. Dans les lieux ‘forts’, en ce que nous appellerons simplement le ressenti établi depuis de nombreux siècles, se trouve l’incontournable loi de la Trinité. A St Sabin, cette dernière règne dans toute sa puissance. En bas, nous trouvions le St Sabin voué à une forme de superstition populaire: le magique… Mais, en haut, se trouve le St Sabin doublement vénéré dans sa manifestation religieuse: le noble évêque et la bergère miraculeuse… Mais ne serait-ce point ici une sorte d’androgynat ou de dualité primordiale oubliée qui soient proposés au… connaisseur ? Il restait, à l’usage des initiés, un troisième St Sabin dans sa conséquence ésotérique : le sacré. Nous le trouvons entre les deux statues, et au-dessus de l’autel, sous une forme picturale maintenant délaissée, bien que toujours à sa place de choix dans l’axe du sanctuaire.
LE TABLEAU
Nous sommes face au maître-autel derrière lequel se trouve une grande peinture représentant St Sabin ecclésiastique. C'est la troisième représentation du saint, qui résume les deux autres en les complétant dans les détails légendaires et traditionnels. Cette peinture sur toile ne semble faire l'objet d'aucune dévotion particulière, ni commentaires dans les annexes rituels de St Sabin. L'indifférence à son égard est telle que personne aujourd'hui ne prête attention à ses détails pourtant riches de symboles et d'enseignements... Cette ignorance va jusqu’au constat qu’aucun entretien de ce tableau n’a jamais été engagé… ni programmé par les services officiels compétents en matière de patrimoine artistique. Mais à mieux y réfléchir, ce mépris est peut-être une chance inespérée pour cette peinture de ne pas subir les ‘restaurations modifiantes’ appliquées sans scrupules, ni mesures, sur les deux statues latérales…
L’axe pictural de St Sabin
Nous voyons St Sabin majestueux, en habit et mitre, tenant dans sa main gauche la crosse d'évêque particulièrement ‘spiralée’. Remarquons déjà que le personnage forme l'axe vertical exact du tableau et le coupe en deux parties radicalement différentes, opposées dans leur fond et leur forme. Cependant, tous les détails, symboles et proportions convergent vers le seul St Sabin. Ce dernier apparaît ici sous la forme d'une somme, entière et indissociable, issue d'une dualité que ce tableau invite à appréhender par un biais symbolique complet selon les axes traditionnels des horizontales, verticales, espaces et temps, lumière et ténèbres...
La portion du tableau depuis l'épaule gauche du saint, à droite pour le visiteur, est dans une dominante de teintes claires. La crosse de l'évêque se détache, haute et droite, sur fond de jour, près d'une colonne « blanche » à base carrée, puis de section cylindrique pour le haut. Cette colonne n'a pas de fin, nous n'en voyons pas le chapiteau final... La main du personnage, sur cette partie « claire », est montante et tient la canne d'évêque qui, elle, s'achève par la crosse d'or sur fond de ciel pur et totalement dégagé de nuages...
Le jeu des couleurs
La partie gauche pour le visiteur, et droite pour le saint, se situe dans une grande pénombre. Ici, le décor change radicalement: le fond aérien rassurant et léger (ciel et nuages) devient lourd, oppressant et inquiétant. De direct et extérieur il est maintenant intérieur et sous-entend qu'un mystère, maintenant dévoilé, se dissimulait derrière une lourde tenture sombre. Le bras droit du personnage est résolument ‘orienté’ vers le bas. De sa main ouverte, il invite à « voir »...
Une colonne noire pour un martyr
Une colonne « noire » torse s'arrête à hauteur de la main droite du Saint, ainsi qu'à la hauteur où la « blanche » change de section. Cette colonne sombre, supportant un livre fermé énigmatique, est ornée sur son chapiteau d'une « guirlande » encadrant une tête de bélier.
Comme nous y invite la main descendante, nous contemplons le bas du tableau. Au sol se retrouve, curieusement, un espace de clarté diffuse. Cette dernière éclaire une scène insolite... peut-être l'accomplissement du mystère des lieux ? Au pied de la colonne, le corps d'un homme gît. Ses deux mains coupées et sa tête sectionnée reposent à peu de distance du tronc décapité. Notons que le sujet est vêtu d'une tunique ou cuirasse de style romain. Derrière le corps mutilé surgit un aigle dont les ailes sont à moitié déployées.
Le sol, enfin, de dalles carrées, suit une perspective cavalière et convergente de part et d'autre du personnage. Cette vue fuyante du dallage s'organise vers l'axe du tableau, matérialisé par St Sabin... vers qui tout semble aller et dont tout pourrait venir en ce qui concerne le royaume du sol... ou, pourquoi pas, d’un sous-sol ? En effet, si l'on prolonge les perspectives du « plancher », elles commencent, ou s'achèvent, focalisées, à l'emplacement du plexus... solaire de St Sabin.
Trois croix pour St Sabin
Terminons notre description par les seuls ornements du tableau frappés d'une croix: la petite patte retenant les deux pans du manteau, la mitre, et enfin la chaussure violette du saint. Peut-être, à ce niveau de réflexion, nous laisse-t-on quelque peu supposer une forme trinitaire de la croix et du principe de « ce qui est en haut est comme en bas »... A moins que ce rappel, en trois croix ornant St Sabin, ne se soit adressé à ces trois étapes symboliques et ‘montantes’ de ce site exceptionnel ? C'est, à notre connaissance, une rare, pour ne pas dire unique, représentation picturale d'un évêque avec une chaussure marquée d'une croix...
SYMBOLISME DU TABLEAU
Trois couleurs pour une vêture
L'aspect esthétique, discutable, du tableau est laissé à l'appréciation de chacun. Son symbolisme, en échange, est difficilement contournable...
Le personnage est l'axe principal et distributeur de l'ensemble des symboles du tableau. S'il en est le point focal, il en est aussi le seul pôle générateur...
Nous ne ferons pas état de la « personnalité » particulière de St Sabin ? Nous y reviendrons plus en détails prochainement... En échange, nous remarquons qu'il est vêtu d'un manteau rouge à l'extérieur: couleur considérée de feu et de sang, donc de vie. Elle est la première de toutes.
Le manteau est vert à l'intérieur: couleur complémentaire de la première. C'est la teinte humaine, de l'espérance, de la venue de la vie... du printemps.
Ici, le rouge et le vert enveloppent judicieusement le blanc de 1' « aube de St Sabin ». S’agit-il du moment où le soleil se lève… ou du vêtement religieux, astucieusement tous deux placés dans une forme de synonymes vocaux ? Le jeu de mot était incontournable et méritait d'être ici à sa place. Blanc du retour, de la « non couleur » contenant pourtant toutes les autres. D'après M. Eliade « dans les rites d'initiation, le blanc est la couleur de la première phase, celle de la lutte contre la mort... » Elle est le symbole du baptême des croyants, rite initiatique qui se nommait... l'illumination! Rappelons que Rouge et Vert étaient les couleurs dont les pèlerins ornaient leur bâton pour « aller à St Sabin »… et que l’alchémille, ou ‘herbe alchimique de St Sabin’ est d’un blanc argenté sous ses feuille.
Le tableau est de part et d'autre limité par une colonne. Une noire, courte, à gauche. Une blanche, infinie, à droite. La colonne est le support garantissant la solidité de l'édifice. Elles sont aussi de chaque côté de l'entrée du « temple » dans certaines sociétés... Elles représentent le masculin et le féminin, le soleil et la lune. Elles ont parfois pour nom ‘J’ et ‘B’, mais dans ce cas elles font face au Delta de la vie...
Les colonnes du passage
Les colonnes indiquent les limites du passage d'un monde à un autre. Elles sont l'ultime limite protectrice à ne pas dépasser, au-delà de laquelle l'homme ne doit pas s'aventurer... Dieu n'y exerçant plus ses pouvoirs!
La colonne de droite, claire et infinie par le haut, est sur une base qui semblerait carrée avec une fausse ligne fuyante. Le Carré est le symbole de la Terre par opposition au ciel. Il est l'univers créé en opposition à l'incréé et au Créateur. Cette figure ancrée sur quatre côtés est l'anti-dynamique et représente l'arrêt, l'instant prélevé. Le carré est l'idée de stabilisation dans une perfection telle celle de la Jérusalem Céleste. Sa conséquence immédiate est le mouvement aisé et circulaire, arrondi. Faut-il voir ici l’idée de circumambulation sacrée ?... Cette forme arrondie est la suite de la colonne qui se poursuit vers le haut maintenant par une section cylindrique. Le cercle est le temps, le parfait, l'immuable, l'inaltérable... sans début ni fin, le Tout! Ce cercle et le carré se combinent en une idée de changement d'ordre et de niveau. Les deux figures sont l'image dynamique d'une dialectique entre le céleste transcendant auquel l'humanité aspire logiquement et le terrestre où elle se situe dans son présent... où elle s'appréhende comme sujet d'un passage à réaliser grâce au symbolisme des signes et des marques lisibles ou invisibles.
La canne du Saint, ici, suit la même directive et ne fait qu'en souligner l'ascension du bas vers le haut, du gris au bleu céleste, du carré au cercle. Mais encore, elle est le passage de la droite à la spirale éternelle de la crosse d'évêque de St Sabin... véritable et ultime jeu de l'oie, qui n'est plus à voir mais à entendre dans une Tradition qui puise sa valeur dans le Souffle, le Verbe... l'oral. D'ailleurs, à l'origine, sur le site, il n'y avait pas de chapelle mais seulement un... Oratoire!
La colonne de gauche est décorée, courte, sombre et supporte un livre. La colonne courte symbolise l'enracinement, et donne la vie à l'édifice qu'elle soutient ainsi qu'à tout ce qu'il signifie. Dans les traditions celtes, elle est le pilier de vie ésotérique invisible et présent. Il est à noter que, si elle est tronquée, elle est toujours la représentation d'un alphabet abstrait de vingt lettres, dit de « la déesse blanche », ayant existé 400 avant JC. Ce dernier alphabet se rapportait au périple céleste d'Héraclès (Hercule), à sa mort sur le mont Oeta et à ses pouvoirs. Ces lettres se rattachaient enfin au meurtre sacrificiel de Cronos... Et cette colonne effectivement supporte le livre fermé représentant ce qui est fini et fait.
Un livre fermé
Le livre est symbole de la science et de la sagesse, mais, au degré supérieur, il représente aussi l'univers. Il est certain que dans tous les cas le livre représente le divin secret qui n'est « ouvert » qu'à l'initié… Ce sera alors le livre de la révélation, donc de la manifestation. S'il est fermé, il signifie la matière vierge, il conserve son secret, n'attendant que le postulant pour s'ouvrir et laisser s'écouler lettres et signes... La colonne sombre est ornée d'une guirlande soutenue par une tête de bélier.
- Le Bélier symbolise la force, il est l'emblème d'Hermès, de la montée du soleil, du passage du froid au chaud, de l'ombre à la lumière et de la queste de la toison d'or. Il ouvre le zodiaque à l'équinoxe de printemps dont il symbolise la poussée puissante dans tout ce qui est positif et lié à la nature.
Le martyr de St Sabin
Au pied de cette colonne se trouve le martyr de St Sabin ou Savin: mains coupées puis, plus tard, décollement de la tête. Le tableau est le résumé, la liaison extrême et rare du saint « entier », intégral, défiant l'espace et le temps séparés pour souligner les passages initiatiques primordiaux, les étapes du cheminement, puis le personnage, qui est à la fois début et fin de ce qu'il représente... Il est, simultanément, acteur et spectateur habilement illustré équilibrant, avec harmonie, l'ensemble des éléments du tableau qui le résume et le compose en un puzzle parfait et complet.
L’aigle de St Sabin ?
Sur la scène du martyre apparaît un élément qui n'a aucune place dans l'hagiographie de St Sabin... Sauf peut-être au niveau de la guérison de la vue : l'aigle! L'aigle est céleste et solaire. Posé sur l'arbre cosmique, il veille comme un remède sur tous les maux que sont les branches. Il est la cure magique et l'état extatique. L'aigle représente souvent l'initiateur accompagnant le postulant dans son parcours initiatique, car il est le seul volatile capable de voler d'un monde à l'autre sans en souffrir. Cet oiseau révèle un pouvoir rajeunissant, de régénération par absorption, qui pourrait fort bien correspondre au symbolisme du rituel revitalisant de « l'aller à St Sabin »... Mais aussi, l’aigle surmontant le supplice de St Sabin signale peut-être que l’endroit, pour certains solstices rassemblant des conditions météorologiques très particulières, offrait un spectacle magique exceptionnel : la montée des trois soleils ! L’aigle n’est-il pas l’oiseau dont la légende dit qu’il est le seul à pouvoir fixer l’astre roi? Ici, le roi des oiseaux est confronté à trois formes de Saint Sabin, trois croix et trois soleils autrefois. La vue perçante aurait-elle aussi pour finalité de nous aider à ‘percer’ le mystère passé de ces lieux sacrés ?
Nous aurons, au moment d’entrer ce texte sur notre site, une pensée pour la fête du lundi de Pentecôte, particulièrement célébrée à St Sabin. Les deux autres fêtes se déroulent en l’honneur de St Roch et pour le solstice de la St Jean d’été… moment où parfois avait lieu le miracle visuel des trois soleils. Aujourd’hui la pollution empêche souvent le phénomène optique qui sacralisait le site.
André Douzet

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