dimanche 28 août 2011

Saint Sabin

Lieu de refuge et de prière
Pélerinage à St Sabin
En ces époques troubles, que Jean Combe nommait avec juste raison "les temps perdus", les populations vivant sur les hauteurs du Pilat avaient besoin d'un certain nombre de sites protégés leur servant de refuge, et en même temps, pour certains d'entre eux, de lieux de culte. Saint-Sabin était un de ceux-ci...
L'enceinte principale
Cependant, voyons sur quels critères il est possible de définir un site comme lieu de refuge?
Il s’agit le plus souvent d’une position élevée, d’où il est aisé de voir approcher l’ennemi de très loin, et ensuite d’un lieu permettant de le dominer facilement depuis les avantages géologiques de l’endroit.
En second lieu, le choix se porte sur un site facilement isolable de l’extérieur par un système de murailles venant renforcer les défenses naturelles.
Enfin, il reste un impératif vital, en cas de siège prolongé : des citernes naturelles ou mieux encore : un point d'eau...
Le sommet de la montagne de Saint-Sabin remplit parfaitement toutes ces conditions. Côté est, une très forte déclivité constitue la meilleure défense. Le point de vue incomparable, à 360°, permet de voir venir un éventuel envahisseur de fort loin, et l'à-pic, au levant, est nettement en faveur des défenseurs. Côté ouest, par contre, là où la pente est beaucoup plus douce, il était nécessaire de fortifier solidement le site. C’est ce qui fut fait par le biais d'une muraille en pierres sèches, large de deux à trois mètres, haute de plus d’un mètre en moyenne, jusqu’à deux par endroit. Cette muraille prend assise soit sur le rocher affleurant, soit sur le ‘chirat’ (empierrement naturel). Deux entrées furent aménagées, une pour chaque pointe de l'espace, délimité d'un côté par la muraille, de l'autre par le rebord de la falaise.
L'ensemble de cette enceinte, nommée ‘hiéron’ par certains auteurs (du grec hieros : sacré), dessine une ellipse de deux cent cinquante mètres de long sur cent mètres de large.
Vue de la muraille d'enceinte... avec notre guide Raymond Grau
Nous conseillons aux visiteurs, désireux de bien apprendre ce site, d'emprunter non pas le chemin traditionnel et fléché, mais le sentier qui part en oblique, sur la droite, au niveau du parking/aire de pique-nique, entre la route et le chemin classique. Au bout de huit cents mètres de marche facile, tourner à gauche et prendre le chemin qui monte en pente douce. On franchit alors une première défense sous la forme d’une barrière de roches qui dut servir d'avant poste, puis on arrive en vue de la ‘porte’ sud de l'enceinte. A l'intérieur de la muraille, deux cases ou fonds de cabanes orientées l'une vers l'extérieur, l'autre vers l'intérieur, font penser à des postes de guet contrôlant entrée et sortie... Le sentier, traversant ensuite tout le site de Saint-Sabin, redescend vers la ‘porte’ nord, constituée en fait d'une sorte de chicane, pour rejoindre le parking.
L'enceinte de murailles est toujours bien visible aujourd'hui, malgré les buissons abondants qui l'ont en partie colonisée, et relativement conservée, selon les endroits. Il serait tout de même souhaitable de procéder à un débroussaillage et à une remise en état au moins partielle… ce qui sans doute ne se fera jamais !
Les défenses secondaires
A elle seule, l'enceinte de Saint Sabin paraît insuffisante pour arrêter une armée déterminée et bien équipée (quoique ce terme doive être relativisé en fonction de l'époque!). Une muraille de trois mètres de large par seulement un à deux mètres de haut peut à la rigueur stopper une cavalerie, mais une troupe de fantassins décidés réussirait toujours à la franchir... A condition toutefois d'arriver jusque là… car on peut supposer que les constructeurs de l'enceinte complétèrent la protection du site par un système de postes de guet et de murailles secondaires, dont on retrouve effectivement la trace au milieu des bois.
En observant une carte d’Etat-Major, on se rend compte que la seule possibilité pour un envahisseur était de remonter la vallée du Ternay et d'aborder Saint-Sabin par l'ouest, puisque les autres côtés étaient protégés par des déclivités défavorables. Dans l'axe de cette vallée, on trouve le Crêt de Peillouté. A son sommet, on distinguait encore il y a une vingtaine d'années, avant l'envahissement par la végétation, les traces d'une enceinte ovale d'une vingtaine de mètres de long, trop petite donc pour servir de refuge, mais idéale comme poste d'observation. On peut donc imaginer une communication optique (feux, fumées et signaux) entre Peillouté et Saint-Sabin... De plus, toute la pente ouest de Saint-Sabin présente encore par endroit des murailles pouvant servir à barrer, ou au moins ralentir considérablement, l'accès à la montagne. L'une d'elles possède une sorte de case ou de ‘guérite’, aménagée à l'intérieur même du mur, selon le principe de la voûte à encorbellement. Elle est parfaitement intacte. Cependant, nous ne donnerons pas son emplacement exact pour des raisons faciles à comprendre, du fait de certains ‘bâtisseurs’ indélicats n'hésitant pas à piller ces belles pierres taillées. On ne peut que regretter que le Parc Naturel Régional du Pilat ne se soit jamais penché sur le sort de ces ‘cases’, et autres ‘chibottes’, qui, ayant résisté aux assauts du temps, sont parvenues intactes jusqu'à nos jours… pour tomber sous la pioche des pillards - démolisseurs au cours des dernières décennies.
L'ensemble de ces défenses devait donc permettre, premièrement de considérablement diminuer l'ardeur combative d’un ennemi, et deuxièmement faciliter la destination principale du site, qui était avant tout un lieu de culte et de prière.
Les mégalithes
Le sanctuaire de Saint-Sabin se compose de deux structures d'époques et de cultures complètement différentes. D'une part la chapelle, et d'autre part, à quelques mètres de là, quelques mégalithes. Le site mégalithique du plateau se subdivise en trois éléments essentiels: l'autel, le tumulus et un petit menhir.
L'autel
C'est une roche brute, haute et large d’un mètre trente environ. Elle n'a pas pour autant la forme cubique que de nombreux auteurs lui accordent, reprenant sans même vérifier la mention "grande pierre cubique destinée aux sacrifices", que lui avait donnée Louis DUGAS en 1927. Le dessus de cette roche est incurvé. Ce large creux, probablement d'origine naturelle, se remplit d'eau les jours de pluie. Au centre se trouve une cupule triangulaire de trente centimètres de long, malheureusement largement dégradée depuis une vingtaine d’années (nous avons des clichés de lorsqu’elle était complète). Cette dégradation est d’autant plus regrettable que les cupules triangulaires sont excessivement rares (on en rencontre dans le Pilat seulement dans un seul autre endroit, le Chirat-Rochat… du moins à notre connaissance) alors que les cupules rondes ou ovales sont monnaie courante.
L'autel servit-il aux sacrifices? On peut tenter de répondre à cette question en en posant une autre: l'Eglise aurait-elle annexé un tel culte à son avantage?... Certainement pas! Il est plus vraisemblable de penser qu'un tel autel pouvait être utilisé pour opérer des guérisons. Cette remarque est tangible pour la plupart des roches à cupules ou à bassins ; il subsiste de nombreuses traces de ces points de ‘guérisons miraculeuses’ dans les croyances populaires. Le principe était simple: la cupule recueillait l'eau de pluie qui y séjournait un certain temps… en se ‘chargeant’ d'une ‘énergie’ captée et ‘focalisée’ par, et dans, le mégalithe. Trois mots de la phrase précédente sont entre guillemets, car si le principe était simple le mode d'emploi hélas s'est perdu à jamais... Les bénitiers emplis d'eau bénite, à l'entrée des églises, ne sont peut-être que le prolongement incompris de ce principe actif des mégalithes récupérés par la religion...
Le tumulus
A côté de l'autel, on remarque un important amoncellement de pierres tronconiques. Ce tumulus, fouillé en 1930, renfermait des tessons de poterie de l'époque néolithique. Il y a un autre tumulus, mais plus petit, au bord du sentier venant de la porte sud. Ce dernier n’a pas été fouillé.
Le menhir
La petite croix sur le menhir marquant annexion et purification du site...
Au pied du tumulus, de l'autre côté du sentier, une pierre levée haute d’un mètre soixante, est qualifiée de ‘menhir’ par certains auteurs. Il est vrai que cette roche semble avoir été dressée et posée en ce lieu (à moins que ce ne soit une sœur de l’aiguille du Flat ?). Sur le dessus, une petite croix très nette a été gravée, marquant ‘l'annexion et la purification’ du site par l'église. D'autres croix sont visibles aux alentours sur des pierres, dont une sur le rebord du tumulus dans sa partie haute.
Avant d'être annexé par la religion chrétienne, le site de Saint-Sabin devait forcément servir à d'autres croyances et d'autres cultes primitifs… comme le fait si bien remarquer Jean MARKALE, "les sanctuaires se déplacent rarement et les religions nouvelles récupèrent d'anciens emplacements pour y bâtir de nouveaux édifices. Parfois même, il arrive qu'un même édifice serve pour un culte nouveau. On sait, par exemple, que les dolmens et autres mégalithes, érigés entre 4000 et 2000 ans avant notre ère, ont été parfois utilisés par les gens de l'âge du Bronze, entre 2000 et 900 av. J.C., puis par les Celtes, voire les Gallo-Romains". A Saint-Sabin, ce passage se fit apparemment sans heurts, et c'est cette histoire que nous allons tenter de retrouver au long de notre travail...
Le culte
Essai de reconstitution d'une statuaire
Depuis de nombreux siècles, l’ermitage de Saint Sabin est connu sous la forme d'une tradition populaire sacrée et religieuse. A ce jour, l'écrit le plus ancien date de 1421. Il y est fait mention du péage des animaux, exemptés, pour la circonstance religieuse, à l'aller... mais pas au retour !... Le pèlerinage, ou reméage, se déroulait essentiellement pour la Pentecôte. Cependant, seule la messe du lundi de Pentecôte était célébrée par la paroisse de Véranne. Durant plusieurs jours, deux jours avant et trois jours après, les prêtres venus avec leurs paroissiens officiaient dans la chapelle de St Sabin, en respectant l'ordre d'arrivée sur le site. Certains fidèles venaient de très loin et ce voyage pouvait durer plusieurs jours pour ceux qui se déplaçaient, par exemple, depuis les régions du Beaujolais ou de l'Isère !
La dernière étape, avant la montée sur la chapelle, était une halte rituelle à la ferme auberge. Les animaux y trouvaient le repos et les humains s'y restauraient ou se ‘changeaient et toilettaient’...avant d'aller vénérer, dans l'arrière-salle, la statue reliquaire de St Sabin. Une offrande déposée dans le plateau, la statue effleurée à l’emplacement du petit reliquaire qu’elle contient... le silence... une prière, un signe de croix... Et le pèlerinage pouvait maintenant se poursuivre sur le site de la chapelle.
Les participants montaient dispersés, en groupe ou en paroisse constituée, leur prêtre en tête, avec, parfois, une ou plusieurs bannières de procession.
Jusqu'au 19ème siècle, selon la coutume, les bœufs montaient dételés et sans leurs jougs, certaines bêtes ‘de tête’ étaient conduites jusqu'à la source sur le site de la chapelle.
Arrivé sur le plateau, chacun cueillait, avant de le tremper dans la fontaine, un petit bouquet d'une plante appelée ‘herbe du saint’, en vérité ‘l’alchémille des Alpes’ (nous y reviendrons plus tard). Puis les pèlerins se réunissaient dans la chapelle pour y suivre l'office de Pentecôte. La messe terminée, les participants frottaient le bouquet sur les pieds de la statue de St Sabin et se rassemblaient à l'extérieur, devant la chapelle. Le prêtre bénissait l'assemblée des humains et animaux. Une bénédiction et une attention particulière aux bouquets ‘d'herbe’ leur conféraient ainsi un pouvoir de protection aux végétaux durant toute une année.
Le culte à St Sabin n'est vraiment cerné, comme manifestation religieuse, que depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il semble évident de croire qu'à ses origines très lointaines, comme tous les cultes canalisés par l'église, le rite de St Sabin soit riche de fortes résurgences païennes indiscutablement festives. Ces dernières dominaient alors très largement la dévotion chrétienne. Avec le temps, il y eut une radicale mainmise religieuse, au plein sens du terme. L'église amalgamant l'action thérapeutique du rituel à celui de la religion s'est superposée avantageusement sur l'ensemble du rite et du reméage... Cette superposition coupait irrémédiablement le champ émotionnel et bénéfique des fonctions agraires où il puisait, à l'origine, ses raisons d'être et ses obscures mais profondes significations...
La statuaire et ses cultes
Heureusement, la chapelle de Saint Sabin a conservé les statues de ses patron et patronne. Il s’agit d’œuvres anciennes et naïves qui ont gardé toute leur expression. Curieusement, cependant, trois statues essentiellement axées sur ce ‘patron’ composent la statuaire du culte à St Sabin.
Dans la chapelle
Deux statues de bois, enduites de plâtre et peintes en polychromie, se trouvent posées chacune dans une niche, de part et d'autre du maître-autel.
L'une, dans la niche de gauche, représente St Sabin sous les traits d'un homme barbu coiffé de la mitre, sa main gauche posée sur sa poitrine à hauteur du plexus. La main droite détachée du corps, tendue en avant, tient aujourd'hui un bâton. Nous reviendrons sur ce détail plus loin. Le manteau est de couleur rouge, bordé d'or et fermé au col. La mitre est rouge avec une croix d'or en son centre. Une tradition locale précise qu'autrefois cette statue montrait un personnage sans mitre, avec un manteau blanc, muni d'un bâton...
Essai de reconstitution d'une autre représentation statuaire
La mitre de ce personnage pourrait faire penser qu’il s’agit là d’un évêque. En ce cas, il devrait tenir une crosse dans sa main et non un bâton. Cependant, la statue, selon les plus anciens récits (1720) à notre disposition, a toujours tenu un bois sans décoration ni enroulement à son extrémité. Sans sa coiffure, le sujet représenterait un… berger. Une incohérence ? Pour répondre, nous signalons qu’à une époque, non précisée, la statue aurait été ‘alignée’ sur l'image du St évêque martyr: rajout d'une mitre (on peut constater que le couvre chef est sculpté ‘à part’, et fixé avec des clous) et le manteau peint en rouge bordé d'or... Si cette couleur et sa bordure étaient des rajouts, il pouvait fort bien, à l’origine, s’agir d’une simple cape de berger ! Cette tradition locale parle de l'image d'un berger ou d'un... druide! Il faut admettre que la ressemblance est raisonnable dans ces conditions, sans toutefois être une affirmation indiscutable...
L'autre statue, dans la niche de droite, représente soit la vierge, soit Ste Sabine. Il ne semble pas que nous puissions hésiter entre les deux solutions, car cette représentation ne comprend aucun détail susceptible de concrétiser la Vierge Marie. Cette statue a les cheveux longs et tombants, encadrant un visage ‘bien rempli’. Les mains sont dans la même posture que celles de St Sabin. La main droite tient une palme indiquant qu’elle illustre le martyre. Le manteau est de couleur dorée, et les pans remontent vers la main gauche, sur une robe de teinte vert sombre. La jambe gauche se devine sous la robe hors du manteau. Ces statues de facture ancienne sont toutefois d'un style simple et rustique.
Vers 1989, elles subirent une remise en état... Et ce travail mérite toute notre attention. En effet, on est en droit de se demander, à ce propos, si ce sont de véritables professionnels de la restauration… comme doctement prétendu à qui veut l’entendre… qui ont réalisé ce travail peu sérieux ou pour le moins surprenant... Peu sérieux, non dans la qualité qui est incontestable, mais dans la réalité et la mémorisation symbolique que ces deux statues représentaient.
En effet, St Sabin était autrefois porteur de la palme, en référence à son martyre. Il est aujourd'hui représenté avec un simple ‘bâton’ et toujours coiffé de sa mitre ajoutée. Il n’est toujours pas muni de sa crosse d'évêque...Même si on essaie d’imaginer qu’il s’agit de l'instrument du bouvier, le symbole hagiographique n'est pas du tout le même que celui d’une crosse !...
Quant à St Sabine, qui autrefois tenait un bâton, elle hérite ainsi de la palme de St Sabin. La couleur de sa robe, rouge à l'origine, est devenue verte après sa radicale rénovation... ou transformation, devrions-nous dire !
Rien n'a été respecté, ni les couleurs qui la plupart du temps ont une valeur symbolique strictement réglementée dans le domaine des statues religieuses... ni les objets qui concrétisent l'état et la qualité de martyre ou leur degré dans la hiérarchie religieuse...
-Dans la ferme auberge
La troisième statue, se trouvant dans l'habitation privée de l'ancienne auberge… est matériellement clouée au plateau d’un buffet ancien !!! Elle est donc d'accès difficile, en tous cas toujours lié aux consentement et humeur des propriétaires.
Plus petite que les deux précédentes, cette statue est en bois non enduit mais colorié à une époque lointaine. Le style en est totalement différent : plus fine, plus élancée, elle se présente dans une sorte de mouvement harmonieux et attirant. La tradition considère cette sculpture comme le travail d'un enfant du pays évalué du XVIe siècle. Sa représentation est très proche de la légende du martyre de St Sabin. Le personnage est revêtu d'une chasuble sur laquelle se distinguent encore des restes de polychromie rouge bordée d'or. Les deux mains et les avant-bras sont absents. Sur le devant et au bas de la chasuble, une petite vitre protège et laisse deviner un dépôt reliquaire contenant quelques parcelles d'ossements du Saint.
Culte et rituel aux statues de St Sabin
- Durant le rituel, à la chapelle, seule la statue de St Sabin évêque est vénérée et intégrée au culte: effleurement des pieds avec le bouquet d'alchémilles, puis bénédiction... Soulignons que le saint, ici, est représenté avant son martyre et possède ses deux mains. On pourrait dire, avec respect, qu'il est... entier. La teinte d’un rouge vif, accompagnée de blanc, voue logiquement ce St Sabin à un culte d'aspect visible et ostensible... destiné à un déroulement statique, fixé dans la chapelle. La statue ne fut jamais utilisée pour un rite processionnaire ou déambulatoire.
- La statue reliquaire de la ferme auberge était, autrefois, l'objet de l'essentielle vénération à St Sabin. Tout d'abord parce qu'elle est montrée les deux mains sectionnées, soulignant ainsi que le martyre est consommé, et la puissance d'intervention acquise… d'où son efficacité miraculeuse incontestable.
Cette statue présidait et participait aux processions nécessitant l'intervention du saint. Notons qu'ici les demandes d'intercessions, d'un registre plus étendu, dépassaient largement la seule protection des animaux et bâtiments...
Sa situation plus discrète, obligeant l'accès d’une intimidante habitation privée, déterminait une volonté et une démarche individuelle à la limite du confidentiel, de l'intime. Aujourd'hui, la majorité des pèlerins et visiteurs en ignorent quasiment l'existence. Le rituel de contact qui lui est encore attaché est pratiquement devenu du domaine initiatique et quasiment secret...
Il y a entre ces deux représentations essentielles du même Saint, des ‘éclairages’ divergents dans leurs utilisations et leurs formes :
- L'une, ‘en haut’, grande, ostensiblement présente à chaque visite dans le sanctuaire religieux. Bien visible, elle est destinée au rite collectif de la chapelle pour le grand public.
- L'autre, ‘en bas’, petite, ‘martyrisée’, reste discrète dans une intrigante pénombre. Quasiment secrète, et plus intime, elle reste confinée à un acte solitaire soumis à une ‘demande d’accès’… à la limite de la superstition (miraculeuse !), qui se raréfie de plus en plus.
Nous découvrons, dans ces aspects annexes, une des facettes ‘profondes’ du culte voué à St Sabin: unique et double à la fois. Deux statues pour un même rituel, mais ce dernier, unique, débouche sur deux pratiques différentes.
Si le rituel reste identique, dans les deux cas de figure, il se déroule dans deux sphères radicalement opposées.
- La première est sacrée et publique: la chapelle appelant le collectif dans un acte de dévotion reconnu, et connu au grand jour, de tous les participants, on pourrait dire: démythifiée, christianisée, concrète, ‘officielle’ puisque faisant référence à un St Sabin de Rome... mais cependant accessible, une seule fois l’an, aux humains et aux animaux, avec l’auxiliaire de l’eau et du monde végétal !
- La seconde sera mythique, superstitieuse, légendaire ou tellement humaine (mutilation, souffrance, martyre)… Elle fait appel à l'individuel, au secret, à l’ombre mystérieuse d’une incertaine demande d’accès… à une action et une impulsion solitaire... Son déroulement se fait, n’importe quand, dans le besoin et l’urgence, par un toucher du doigt sur le reliquaire, sans présence spécifiquement religieuse ni autre appui, et seulement à l’usage des humains…
En réalité, les deux pratiques ne sont similaires que sur le rituel de contact avec les statues (herbe pour l’une et doigt relique pour l’autre), mais elles divergent résolument sur les processus de référence, ainsi que sur les manifestations publiques. Remarquons qu'à l'origine du culte, il n'y avait que l'ancienne statue reliquaire, mutilée, vouée à la dévotion, puis avec l'apparition des deux autres statues, il y eut glissement et décadence très lente du pèlerinage au jour des grandes pompes. Peut-être ce ‘dérapage’ était-il intuitivement souhaité et utile afin de préserver dans l'ombre secrète d'un lieu privé, difficile d'accès mais tellement humain et populaire: une cuisine de ferme, le véritable aspect rituel... ancestral du vieux ‘pagel’ ou rebouteux (sur lequel nous reviendrons plus tard). Cet aspect profond, superstitieux, mythique, mystique, magique, inquiétant aussi, reste aliéné solidement aux pulsions archaïques du domaine des phantasmes de l'humanité... sans plus aucune référence sociale à présent.
‘Aller à St Sabin’ voir les statues du St personnage, n'est-ce pas un peu chercher au fond de ces miroirs à trois dimensions, mais sans profondeur réelle, à apercevoir, à deviner notre propre image enfin purifiée de tous blocages? La queste de cette dimension inaccessible, et tellement merveilleusement humaine, passe t'elle vraiment par une porte aussi étroite?...
André Douzet

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