dimanche 28 août 2011

le Pilat Préhistorique selon F. Gabut



Poursuivant notre survol des anciens textes d’auteurs s’étant consacrés à l’étude du passé de cette contrée, nous arrivons à une description des plus intéressantes de F. Gabut. Il s’agit d’un des écrivains notoires en matière du passé historique et préhistorique de notre région et plus loin encore.
En 1901, il édite :
‘ETUDES D’ARCHEOLOGIE PREHISTORIQUE’, à Lyon, aux éditions A. Storck & Cie. Imprimeurs - Editeurs. 
Parmi plusieurs chapitres très intéressants se trouve le premier consacré au massif du Pilat et plus particulièrement aux œuvres de ceux qu’il nomme ‘Philolithes’, pouvant être probablement les premiers hommes à vouer un culte à la pierre. La particularité de ce culte semble, selon Gabut, être attribuée à la roche détachée, éclatée, naturellement et sans aucun rajout de la main de l’homme. Un culte à la pierre à son état naturel. Certes, le massif du Pilat est loin de manquer de ce genre de matériaux et ses sommets et nombreux autres lieux en disposent à profusion… comme nous le verrons au cours de nombreux autres exemples. Il est vrai qu’en avançant, dans le temps de l’humanité, on voit le minéral être travaillé et décoré à des fins de support rituel et cérémoniel, voire commémoratif, comme le menhir du Flat et les Roches de Marlin par exemple…
Gabut présente la particularité d’écrire Pilat sans le ‘T’ final… Il est aussi un des rares auteurs à s’être intéressé, comme nous le voyons dans ce texte, à des énigmes de ces époques oubliées, tel les ‘sillons’ retrouvés étrangement en divers lieux de ce massif. Personne n’a, à ce jour, apporté une explication rationnelle à ce mystère de nos ancêtres. Si, certes, nous en avons retrouvé de nombreux vestiges, il faut bien admettre qu’ils disparaissent sous la végétation et, pire encore, l’indifférence, voire l’ignorance complète des grands ténors prétendus spécialistes du Pilat.
F. Gabut offre, en un chapitre, une visite très précise de certains de ces restes inconnus que nous ne pouvions laisser sous silence tant ils sont peu présentés. Nous le suivrons donc ici et nous ne manquerons pas au fil des articles suivants d’ajouter nos propres images, constats et recherches sur sites…

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« Le massif montagneux du Pila forme la partie septentrionale des monts du Vivarais, il appartient à la grande chaîne appelée en géologie moderne Hercynienne. Son point culminant, le crêt de la Perdrix, est à l'altitude 1.434 ; des sommets inférieurs, des plaines ou plateaux s'étalent par des altitudes descendantes en une vaste étendue dominée par le sommet principal.
Gruner, dans sa description géologique du département de la Loire (1857), dit que le massif du Pila est la résultante de sept soulèvements successifs qui lui ont donné son relief actuel ; c'est le sixième soulèvement qui aurait fait apparaître les gneiss granuliques dont le crêt de la Perdrix est le summum ; il croit ce massif postérieur au dépôt des terrains jurassiques.
Termier (Bulletin de la carte géologique, août 1889) dit que le dernier effort orogénique qui a donné à la chaîne hercynienne son relief définitif est de la fin de l'époque permienne ou carbonifère; sur ce point, il rectifie Gruner qui aurait fait erreur.
Le massif du mont Pila est ce qu'on appelle en géologie un « vorland » ou « horst », c'est-à-dire une voûte anticlinale, un point stable. Il a résisté au dernier mouvement orogénique qui a soulevé les Alpes; il a pu alors être secoué, ébranlé, mais il est resté stable.
Par son étendue, sa puissance considérable et surtout par sa constitution granitique, le mont Pila donnait toute confiance aux Philolithes dont les regards avaient été, et de loin, attirés vers ce sommet souvent dissimulé dans les brumes des nues.
Les sommets du Pila se présentaient donc aux Philolithes avec la sécurité d'un «vorland» et dans l'état de pureté primitive répondant aux prescriptions du rite.
Dans son voyage humoristique, Francus (Lyon - 1890) s'exprime ainsi : « Le crêt de la Perdrix n'est ni un pic pointu comme le Gerbier de Jonc, ni un de ces beaux dômes phonolithiques comme le Mézenc..., mais un large mamelon aux formes harmoniques. »
Au point de vue mégalithique, le crêt de la Perdrix est une des mamelles de la terre, comme celles qui conviennent à Cérès et à Amphitrite, les deux nourrices du genre humain ; on n'y trouve pas, il est vrai, des couronnes de pierres ou des tumulus arrangés de main d'homme, orgueilleusement et prétentieusement placés, comme sur les crêts du Ghatelard de Courzieu, de Pied-Froid sur Yzeron, mont Popey sur Saint-Romain-de-Popey et autres crêts similaires.
Au crêt de la Perdrix, la montagne par sa forme se suffit à elle-même : cependant c'est un des hauts lieux par excellence, un bouton lithique qui distille aux esprits de l'air le lait mystique de la terre ; c'est une des montagnes sacrées sur lesquelles s'arrêtait l'arche de Noé, c'est-à-dire où hommes et animaux ont trouvé la sécurité, alors que les plaines étaient envahies par les eaux provenant de la fonte des grands glaciers.
Le sommet du crêt de la Perdrix est recouvert d'une vaste calotte de pierres ou roches de dimensions variées, s'étendant autour du culmen sur plus de deux cents mètres de rayon ; ce culmen est lui-même terminé par un entassement de roches dont l'examen cause un véritable étonnement. Nous n'avons trouvé sur ces roches aucune cuvette ni aucune trace de travail humain.
Une calotte de pierres recouvre également les autres cimes des crêts voisins appelés : Vicinal ou Piala, de la Bote ou de la Dame, Fer au-Mulet, Pic des Trois-Dents, crêt d'Œillon. Tous ces crêts et la plupart de leurs déclivités sont recouverts de vastes amoncellements de pierres ou quartiers de roche. Ces amas lithiques s'étendent sur des espaces considérables, dont la superficie représente plusieurs hectares ; ils sont connus dans la localité sous le nom de chirats.
Des chirats semblables, mais de dimensions moindres, existent sur les pentes des crêts : Pied-Froid sur Yzeron, Chatelard sur Courzieu, crêt des Chevreaux sur Vaugneray, crêt Chatoux sur Rivollet, ainsi que sur tant d'autres crêts granitiques du Lyonnais et du Beaujolais.
A toute époque, à la vue de ces chirats, l'homme s'est posé cette question : comment et par quelles circonstances des amoncellements aussi considérables de roches ont-ils pu être réunis sur un point donné?
Pour tous, excepté pour les savants, ce sont des débris: ici d'une ville ruinée, là d'un poste d'observation du temps des Celtes, le plus souvent les restes d'un camp de César ou des Sarrasins. Partout, du reste, les chirats sont appelés Champs Maudits.
Ces chirats se rencontrent surtout sur les sommets et les déclivités des monts formés de gneiss granuliques.
Elisée Reclus, dans sa Géographie de l'Europe centrale (Paris, 1878, page 698), en parlant des montagnes du Harz ou système hercynien, s'exprime ainsi : « En beaucoup d'endroits la roche est complètement nue et les intempéries en ont désagrégé les blocs et sculpté la surface en aiguilles bizarres ; çà et là s'étendent des « mers de pierres » semblables au « Lapiaz » et au « Karren-felder » des Alpes, ce sont les « pierres maudites » au milieu desquelles, suivant la légende, dansaient les sorcières pendant les nuits du sabbat. »
Puis il ajoute (Asie antérieure, p. 862) : «comme si les vibrations fréquentes du sol les avaient disposées en formes géométriques, on dirait qu'elles ont été disposées par ordre de dimensions et de contour, ici de gros blocs, ailleurs des pierrailles.» 
Nous avons trouvé pareilles dispositions, mais en raccourci, sur divers sommets des montagnes du Lyonnais, d'abord sur les crêtes au nord-est du mont Popey où un chirat ou « murger » se termine au sud par un amas de petites pierres paraissant choisies à la main. Les figures géométriques sont reproduites sur presque tous les points où nous avons trouvé des chirats : l'arc de cercle, les angles ou polygones irréguliers sont fréquents, le cercle l'est également; quant à la forme en larme ou virgule, souvent reproduite dans les chirats, ce n'est plus une forme géométrique, mais graphique, elle ne peut être attribuée aux frémissements ou spasmes de l’épiderme de la terre, elle est intentionnellement l'œuvre de l'homme et sa figure ne peut avoir qu'une signification religieuse. Nous décrirons quelques-unes de ces formes, reproduites en raccourci, au tumulus ou Molaron de Décines (Isère), près de Lyon.
Quels que soient le phénomène et la cause de la désagrégation des roches disposées en chirats ou débris sur le crêt de la Perdrix, ces chirats existent; ils sont compacts, abondants, entassés, enchevêtrés là comme sur tant d'autres sommets des monts du Lyonnais.
Au centre de la calotte de pierres du crêt de la Perdrix se trouve le bouton lithique dont nous avons parlé; il est formé de roches énormes, chaotiquement entassées : quelques-unes paraissent des roches fixes émergeantes, des cornes; et certes, au premier coup d'œil, on se croit en présence du travail exclusif de la nature, mais si l'on examine avec plus d'attention, on constate que plusieurs de ces roches sont inclinées vers l'est et le sud-est; nous n'avons cependant trouvé sur elles aucune cuvette creusée ou agrandie de main d'homme.
L'examen conduit à constater aussi que ce culmen est entouré d'une vaste enceinte, soit d'une sorte de plateforme à grand diamètre en pierres sèches ; cette enceinte paraît être ouverte et avoir une entrée du côté sud : ici, on commence à ne plus douter de l'intervention de l'homme, la nature ne travaille ainsi nulle part. L'on trouve à Pied-Froid et au Chatellel sur Yzeron, au château Cuvais sur Pollionnay et au Chatelard sur Thurins, et ailleurs, des plateformes moins vastes, il est vrai, mais similaires, entourant un bouton lithique, avec une sorte d'entrée sinueuse comme au Chatelard de Courzieu, ou dissimulée et tortue comme à tous les grands autels mégalithiques que nous avons décrits.

Il nous paraît évident qu'au crêt de la Perdrix, les Philolithes, utilisant les dispositions que leur offrait la nature, ont cependant complété cette œuvre en établissant au moins la plateforme autour du bouton lithique supérieur. S'ils n'ont pas rapporté de grosses pierres pour compléter et garnir ce bouton, ils en ont du moins incliné quelques-unes vers l'est et le sud-est pour obéir aux prescriptions du rite qu'ils observaient, et rien ne prouve que beaucoup de quartiers de roche ou de pierres qui couvrent ce sommet ne sont pas des « pierres de témoignage, de souvenir, de reconnaissance ou d'adoration ». (Bible-Genèse, chapitre XXVIII, versets 17, 18: « C'est ici la maison du Seigneur et la porte du ciel » ; 22 : « et cette pierre sera appelée la maison de Dieu. » Chapitre XXXI : « Et Jacob prit une pierre et l'éleva comme un monument; 20: « Josué dressa en galgal les douze pierres qu'ils apportèrent. » Chapitre VII, supplice d'Achan : « Et ils amassèrent sur lui un grand monceau de pierres qui y est encore aujourd'hui. » Chapitre VIII : « Alors Josué éleva un autel de pierres non polies et que le fer n'avait pas touchées ». Versets 29, 3o et 3l.)
Josué était un Hébreu renforcé, un Israélite intransigeant, il observait rigoureusement le rite de la pierre, il est même supposable qu’il en avait une à la place du cœur.
Ce ne sont point des Israélites assurément qui sont venus s'établir sur les cimes sauvages et dénudées du Pila; il faut aux Juifs les gras pays, où ils peuvent mettre à profit leurs aptitudes industrieuses. Mais, cependant, ce sont des peuplades, ou tout au moins des familles ayant les mêmes traditions religieuses, c'est-à-dire l'adoration, l'hommage, l'holocauste offert sur la pierre brute et non taillée.
Ces peuplades ou familles qu'on désigne sous le nom de sémites sortaient sans doute, dès leurs premiers pas, non de l'Ararat, sommet granitoïde où Noé, sa famille et les animaux qui l'entouraient furent assez heureux pour trouver un asile lors du déluge ou de l'inondation des plaines, provoquée par la fonte des grands glaciers, mais bien des vallées visant l'est ou le nord du plateau central de l'Asie.
Le bouton lithique à la cime du crêt de la Perdrix et sa plateforme arrangée de main d'homme avec des roches disposées en sauvage couronne, constituent un monument mégalithique d’une antiquité et d'une pureté exceptionnelles. C'est la pierre, c'est sur elle qu'on offre les sacrifices, l'adoration, le témoignage; elle doit être non polie et n'avoir pas été touchée par le fer.
Le fer paraît, dès son origine, avoir été considéré comme impur, c'est-à-dire comme métal non noble, ne pouvant être utilisé dans les sacrifices. M. Chantre croit que pour cette cause il était exclu des sépultures qu'il a fouillées au Caucase.
Au crêt de la Perdrix, les pierres sont pures de tout attouchement antique, non seulement par le fer, mais même par le ciseau ou marteau de pierre. L'autel, l'hieron proprement dit est resté intact et tel que les Philolithes l'ont arrangé, pour répondre aux prescriptions du rite primitif du mégalithisme, rite confirmé et prouvé par la Bible, le livre le plus sérieux, le seul du reste auquel sur ce point l'homme de bon sens et de raison peut accorder une confiance qu'il refuse aux auteurs anciens qui ont écrit à une époque relativement récente, comparativement à la date à laquelle écrivaient Moïse et Josué.
Les pierres de l'hieron du crêt de la Perdrix ne paraissent pas même avoir subi l'action du creusement de la roche par éclatement pour former une cuvette, ou bassin quelconque à la surface d'une roche fixe ou détachée; ce sanctuaire au point de vue mégalithique est immaculé.

Les Sillons
En quittant le village du Bessat, nous avons suivi la route dont les lacets se déroulent au milieu des bois et coupent les vieux chemins mégalithiques, puis nous sommes arrivés dans la lande en face de la Jasserie ou ferme du Pila, véritable oasis dans le désert. Au sortir de la forêt, la route cesse d'être macadamisée, bientôt on trouve à droite l'antique chemin de crête qui passe au bas du crêt de la Perdrix ; il contourne au nord-est le crêt de la Bote ou de la Dame, celui du Fer-au-Mulet et passe entre le pic des Trois-Dents et le crêt d'Œillon.
Nous avons quitté ce chemin de crête et coupé à travers la lande pour monter au crêt de la Perdrix. Bientôt nous avons remarqué que le sol était découpé en sillons étroits comme ceux d'un champ récemment labouré, et concentriques au sommet du crêt. Ces sillons suivent la pente du mont, toujours par lignes concentriques jusqu'à la calotte lithique formée par les chirats.
En coupant à travers champs, entre le crêt de la Perdrix et le crêt Vicinal ou Piala, sis à l'est du précédent, on trouve également les sillons; dans le pli de terrain entre les deux crêts, on voit des creux ou mardelles, des terrassements, des talus, puis une sorte de chemin encaissé en forme de large fossé, partant du sud et descendant au nord dans le fond du pli de terrain; le tout, fossé ou chemin, terrassements, mardelles et talus, ressemble aux dispositions à peu près semblables que nous avons vues sur divers sommets et notamment au nord-est de Saint-Bonnet-le-Froid, au Jeu-de-Quilles sur Pollionnay, au crêt des Murs sur Thurins (Rhône), et sur les monts de roche jurassique: roche Bracon sur Villemoirieu (à droite avant d'y arriver); Larina près Hyères (Isère); La Roche-sur-Culles (Saone-et-Loire).
En descendant, toujours à travers la lande, du crêt Vicinal (cote 1.400 environ) à la ferme de la Jasserie (cote 1.307), les sillons continuent de ceinturer la montagne. Si l'on continue à travers la lande, de la Jasserie jusqu'au crêt de la Bote, on trouve toujours les sillons, on les retrouve aussi au crêt Fer-au-Mulet.
La largeur de ces sillons est variable; ceux concentriques autour du sommet du crêt de la Perdrix ont de 0m.60 à 1 mètre et plus de largeur, l'ados entre les raies a de 0 m. 20 à 0 m. 30 de hauteur ; dans les parties planes de la lande les sillons sont plus larges.
Au crêt de la Bote, nous avons questionné un vieux paysan qui gardait son bétail. Il croyait que les sillons, qu'il avait remarqués du reste, avaient dû être tracés par le pied des vaches pâturant et suivant sur le sol une ligne directe: le terrain se serait tassé à la suite de ce passage continu.
Le fermier de la Jasserie, homme intelligent, éleveur de bétail, avait également remarqué ces sillons; ils avaient éveillé sa curiosité mais il ne les attribuait pas au passage régulier du bétail. Il se demandait si ces sillons n'avaient pas été tracés dans le but de retenir les eaux et de les empêcher d'entraîner les terres. Sur mon objection : pourquoi faire un travail aussi considérable et aussi dispendieux jusque dans les parties planes où les eaux ne pouvaient que s'étendre en nappe sans pouvoir entraîner les terres, la végétation herbacée sur un terrain essentiellement perméable suffisant à elle seule à absorber les eaux? Le fermier tenait ce raisonnement pour exact. Alors, disait-il, est-ce un essai de plantation ? Le terrain labouré, l'argent aura manqué pour faire la plantation.
Le fermier était d'avis que si les sillons avaient pu être tracés à la charrue dans les parties planes ou peu pentives, la charrue était impuissante à tracer avec autant de régularité les sillons concentriques qui ceinturent le crêt de la Perdrix. Sur ce point les sillons ont certainement été tracés et établis de main d'homme. Mais dans quel but?
Telle est la question posée. Quelle était la destination de ces sillons ? A quelle époque ont-ils été créés? Car il est à remarquer que ce travail a exigé un labeur considérable, puisqu'il embrasse le sol sur de vastes étendues. Le fermier de la Jasserie repoussait toute idée de labour pour ensemencer des céréales.
Ces sillons sont-ils l'œuvre des Philolithes? Nous le croyons. Ont-ils été établis aux temps primitifs ou relativement récents? C'est ce qu'il est impossible de dire.
Ces sillons existent, c'est incontestable. Ils causent un véritable étonnement si on considère la vaste étendue qu'ils recouvrent, et aucun motif d'utilité ne paraît pouvoir expliquer leur existence.
Un dit-on peut seul, quant à présent, donner une explication bénévole à cette création singulière: « Chacun sur la terre trace son sillon plus ou moins long, plus on moins large, plus ou moins étroit. » Etait-il de tradition rituelique chez les Philolithes de tracer ces sillons comme hommage ou œuvre pie? Qui le sait? Et jusqu'au jour où, par des fouilles ou par tout autre fait quelconque, on aura obtenu une explication acceptable, nous croirons que ce vaste travail est l'œuvre des Philolithes, mais encore faisons-nous à cet égard toutes réserves, il serait téméraire d'attribuer ce labeur à qui que ce soit, toute preuve faisant complètement défaut ; la question, à part l'existence indéniable, reste non résolue.

Le crêt Vicinal
Le crêt Vicinal ou chirat Piala est situé à l'est du crêt de la Perdrix, il est un peu moins élevé (1400 environ). Un sentier battu par le passage des promeneurs conduit à la cime par une crête. Ce sommet est recouvert d'une vaste calotte lithique analogue à celle du crêt de la Perdrix, mais le culmen ou bouton est moins accentué : il se compose de cornes ou roches émergeantes et de grosses roches détachées, dont quelques-unes évidemment arrangées de main d'homme sont inclinées vers le sud. A la pointe sud du crêt, dominant une dépression très accentuée, existe une corne émergeante sur la pointe de laquelle une cuvette en forme de sommet de pyramide renversée, à polygones irréguliers, a été creusée par éclatement en profitant des délits de la roche ; cette cuvette garde l'eau. Tout contre cette roche on en trouve une autre sur laquelle on voit un rudiment de cuvette à déversoir, elle est peu profonde, peu accentuée, on dirait l'empreinte d’un sabot de cheval de grande dimension qui aurait frappé la pierre et y aurait imprimé sa forme en creux.

La terre entre les roches au faîte du crêt Vicinal est noirâtre et nous a paru contenir des restes d'incinération. Peut-on dire que ce sont les débris fusés et en décomposition des bruyères qui végètent pauvrement sur cette cime ? C'est possible, mais pour nous c'est douteux.
Il est évident qu'au crêt Vicinal plus encore qu'à celui de la Perdrix, les roches présentent au regard l'aspect ruiniforme, terme consacré en géologie. Une dépression profonde entoure la pointe du crêt au sud, à l'est et à l'ouest tout ce vide est garni de chirats, c’est bien l'œuvre de la nature.
Mais comment expliquer par l'œuvre de la nature l’existence du chirat ou murger en arc de cercle qui surmonte la corniche de la vallée ? au sud-ouest, et en contrebas de la cime du crêt Vicinal, ce chirat se dirige du sud-ouest au nord-ouest, la masse considérable de pierres ainsi accumulées en longueur, largeur et hauteur n'est guère explicable par le travail de la nature ; il faut admettre, au moins pour ce grand murger, que l'homme a contribué à accumuler les rochers pour répondre à un rite, à une tradition religieuse dont le sens symbolique nous échappe, mais qui s'est traduit par des actes qui attestent un labeur considérable.
La cime du crêt Vicinal s'avance au sud plus loin que le mamelon du crêt de la Perdrix, mieux que ce crêt elle domine et est dominée par les crêts voisins, elle est mieux en vedette. Nous avons remarqué que c'est le plus souvent sur les cimes ou croupes présentant des dispositions semblables et dominant les vallées, plutôt que sur les crêts les plus élevés, que l'on trouve les roches à cuvettes ou à cupules. Il semble que ces endroits, généralement en vue, étaient choisis de préférence aux mamelons élevés pour y célébrer des sacrifices ritueliques. Du crêt Vicinal par exemple, le feu pendant la nuit, la fumée pendant le jour, pouvaient indiquer que les prêtres et les sacrificateurs célébraient une solennité, à laquelle les populations environnantes pouvaient prendre part en s'identifiant par la pensée à l'acte de religiosité.

La Voirie mégalithique du Pila
Du col du Bessat, du village même, se détache un chemin de crête, limite de communes, qui passe à l'ouest du crêt de la Perdrix ; il n'est suivi aujourd'hui que par les piétons qui connaissent la localité et désirent abréger les distances. Entre le Bessat et le crêt il est, comme toutes les voies mégalithiques du Lyonnais, bordé par place de roches posées en garde-corps, des roches en vedette sont posées en vue des chemins ou sentiers secondaires. Ce chemin semble périr dans la lande et ne pas se continuer, mais cependant nous avons reconnu son ancien tracé, il arrive au col de la Bote qu'il contourne ; les sillons existent de chaque côté de ce chemin.
Bientôt, en continuant d'avancer dans la direction du crêt de l'Oeillon, on remarque sur la chaussée quelques pavements en roches polygones; puis le chemin est bordé de droite et de gauche d'un véritable garde-corps de près d'un mètre de hauteur en pierres sèches, jetées les unes sur les autres sans ordre ni méthode; à la descente, au nord-ouest du crêt, les pavements sont continus et réguliers, la voie n'a guère que 1 mètre à 1 m. 10 de largeur; elle est fortement encaissée par les garde-corps qui la bordent, de chaque côté se trouvent des chirats formés parfois de roches volumineuses, quelquefois, au contraire, les pierres sont arrangées de manière à former un cercle ou petite couronne affaissée au centre.

Est-il besoin de dire que cette voie encaissée et pavée cause aux paysans le plus grand étonnement? Comment, pourquoi, à quelle époque et pour quels besoins des hommes ont-ils jugé utile ou simplement convenable de paver une chaussée à cette altitude, dans une contrée sauvage, déserte, inculte et non cultivable? Pour faire passer le bétail? Mais pour cela il suffisait de jeter les pierres de côté et il n'était nullement nécessaire de faire à la chaussée un pavement aussi régulier.
Et de fait, la chose est inexplicable pour celui qui n'a pas étudié et suivi sur place pendant des années les traces laissées par les Philolithes.
Nous avons déjà parlé dans un chapitre spécial de la voirie mégalithique, savante, non seulement pour son époque, mais encore pour nos jours. Cependant, et pour prouver qu'un lien attache la création de ce chemin à l'établissement de voies semblables en Assyrie, nous reproduisons un extrait de la géographie d'Elisée Reclus (L'Asie antérieure, page 862).
« Le Harra... ou région brûlée... est inexploré dans presque toute son étendue, à cause des pierres qui le rendent impraticable aux montures. Quelques sentiers, suivant le cours de quelques ouadis tortueux, serpentent néanmoins au milieu de ce chaos ; évidement les bergers ont dû, autrefois, déblayer ces chemins pour faciliter le passage des troupeaux entre les fonds herbeux. Les pierres ne sont pas disposées en amas, elles recouvrent la terre, mais d'une simple couche de fragments continus, comme si une immense couche de pierre avait été brisée en éclats de grandeur diverse. »
La théorie des vibrations ou spasmes de l'épidémie de la terre de Gruner dont nous avons parlée plus haut, avec disposition des pierres en formes géométriques, est reproduite au mont Pila, mais au Harra, les chemins ont dû être faits par les pâtres qui paissaient les troupeaux. Qu'il s'agisse des bergers d'autrefois ou des Philolithes, la tradition, la manière de faire est la même au Harra ou au Pila ; la facture ou main-d'œuvre est identique, donc l'inspiration est la même qu'il s'agisse du Harra ou du Pila; et cette inspiration, à des distances si considérables, paraît prendre son origine dans un courant de migration parti de l'Extrême-Orient ; une branche est descendue vers le sud, l'autre a continué vers l'ouest-nord, semant chacune sur sa route, an nord comme au sud, des ouvrages identiques conservés dans les déserts jusqu'à nos jours, car nos hautes montagnes, couvertes de bois ou de forêts sont des déserts au point de vue de l'immutabilité des ouvrages mégalithiques.
Le massif du Pila est riche en ouvrages et monuments mégalithiques, jusqu'à ce jour aucun archéologue ne les a fait connaître; nous avons décrit un de ces monuments, « le Chateau-Bélize », et les intéressants ouvrages de « La Roche-sur-Pélussin ». Nous venons de parler du crêt de la Perdrix, de ses sillons, de sa voirie, mais nous n'avons pas vu les marmites du diable si nombreuses sur les cornes ou roches émergeantes du vaste territoire de la commune de Pélussin, nous n'avons même pas vu l'enceinte de Saint-Sabin non loin du pic des Trois-Dents, et tant d'autres ouvrages si intéressants à étudier, sans compter les légendes et traditions qui, sans avoir de valeur historique, éclairent cependant la ténébreuse et sombre histoire mégalithique.
La chaussée du crêt de la Bote, bordurée et pavée, de même que tant d'autres chaussées similaires vues par nous sur les monts du Lyonnais, a été édifiée sous une civilisation lointaine, inconnue, et morte depuis si longtemps, que son souvenir était complètement effacé au moment de la conquête des Gaules par Jules César, puisque les écrivains grecs et latins ne paraissent point avoir signalé ces singuliers et sauvages travaux, si nombreux dans les monts granitiques.
Les savants d'aujourd'hui n'hésiteront pas à attribuer la création de ces chaussées aux Romains; nous nous bornerons à sourire de leur naïveté et à leur demander: dans quel but les Romains auraient créé des routes de cette nature et de cette sauvagerie, au sommet et sur les pentes du mont Pila, et ailleurs, dans des lieux aussi déserts et aussi sauvages?

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