dimanche 28 août 2011

Fondation de la chartreuse selon A. Vachez


La place qu’occupe la chartreuse de Sainte-Croix en Jarez dans nos travaux mérite que nous nous intéressions au plus près de ses premiers instants dans le massif du Pilat, au début du XIIIe siècle.
Pour entamer cette présentation, nous pensons de bon ton, une fois de plus, de faire appel à nos aînés, en matière d’instants historiques concernant ce monastère et sa constitution. Il est bien connu que cette ‘naissance’ serait le résultat d’un miracle vécu par Béatrix de Roussillon, comme nous en avons fait mention avec beaucoup de précisions et de remarques sur les colonnes de notre site Société Périllos. A ce jour, peu de chercheurs se penchent sur les traits subtils disposés dans l’ombre de ce beau récit traditionnel. Ce dernier, pourtant entaché de nombreux éléments d’apparence anodine, montre surtout une manœuvre destinée à imposer, sans heurts ni surprises, l’implantation d’un leurre permettant de dissimuler une autre réalité. Ce pieux souvenir ‘romanesque’ eut le mérite de permettre de véhiculer au fil des siècles, sous son intouchable couvert religieux, une série de détails prouvant encore aujourd’hui que le lieu et ses ‘acteurs’, des fondateurs aux ‘participants’, étaient tout sauf dupes de cette manœuvre. Il est habituel de présenter Béatrix, veuve de Guillaume de Roussillon, comme le personnage clé ayant vécu le merveilleux miracle et à la suite ayant financé et instauré de toutes pièces l’installation de cette chartreuse providentielle.
Si nous avons été les premiers à en démonter, et démontrer, les rouages essentiels, nous ne pouvons cependant pas laisser pour compte les récits rapportés par des historiens de renom. C’est à l’un de ceux-ci que nous laissons le soin de présenter cette ‘fondation’ selon les récits considérés alors comme incontestables car appartenant à des archives reconnues. A. Vachez, dans son formidable ouvrage ‘La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez’ (1904) met à la portée du lecteur une masse impressionnante d’éléments permettant à chacun et à tous d’avoir une première vue d’ensemble de l’histoire du lieu. Evidemment, il relate, sur documentations, au chapitre II de son livre, la fondation de la chartreuse de Sainte Croix. C’est cet extrait, des pages 37 à 48, que nous choisissons de présenter aujourd’hui. Certes, nous reviendrons sur ces premiers moments de ce qui est devenu un des joyaux du Pilat. Nous reviendrons sur ce qui a été dissimulé, tronqué ou passé à la trappe… Quant à monsieur Vachez, nous ne pouvons que rester reconnaissants et admiratifs face à ce colossal travail d’archives réalisé à une époque où toutes les prospections ne pouvaient se faire qu’au sein des services bibliothécaires, ou d’archives officielles, religieuses ou privées. Si aujourd’hui certains points de cet ouvrage sont contestés, nous nous demandons si les dits contestataires seraient capables d’en faire autant sinon plus… en ajoutant qu’ils sont les premiers, comme nous l’avons fait il y a près de 40 ans, à puiser dans cette masse documentaire sans remerciements et sans vergogne.
Un aspect des travaux de cet historien pourrait cependant peu à peu retenir notre attention. En effet, A. Vachez émaille son ouvrage de détails que lui seul présente au fil de ses parutions sur le sujet. Ces détails, parfois, montrent effectivement que bien des choses échappèrent aux officiels depuis la fondation de Sainte-Croix jusqu’à la fin du XIXe siècle. Ce sont souvent de petits renvois en bas de pages ou de laconiques remarques que l’auteur lance dans ses textes de manière… innocente. Pourtant, à relire ces ‘éclairages diffus’, le ton, les remarques et parfois les sous-entendus, nous pourrions nous demander si ces ‘appels’ sont le fruit de l’innocence, du hasard ou… de la volonté d’un chercheur ayant découvert d’étonnants éléments qu’il ne peut exploiter faute de passer -déjà en son temps- pour le farfelu de service ! Et, avouons-le, monsieur A. Vachez , docteur en Droit, avocat, ancien bâtonnier, Président de l’Académie des Sciences et Belles Lettres et Arts de Lyon, est loin pour nous d’être un farfelu ou un amateur de ‘choses cachées’. L’irritant problème est, finalement, de savoir si ces ‘semis’ étaient de laconiques et anodines annotations sans intérêt immédiat ou si ce chercheur ne les a pas réservées, à tout hasard, à quelqu’un qui saurait bien plus tard y prêter l’attention voulue. Nous reviendrons plus tard sur cet amusant aspect des ‘renvois’ de monsieur A. Vachez…
En attendant, nous voici plongés dans un des meilleurs récits historiques touchant cette naissance non fortuite et bien programmée sous des couverts religieux et miraculeux.

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NB : Pour ne pas surcharger le texte, nous avons arbitrairement disposé toutes les annotations, originairement inscrites en bas de pages, à la fin du texte, avec une numérotation respectant leurs emplacements respectifs.
Chapitre II
Fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix
Mère d'une nombreuse famille et chargée de l'administration de toutes les terres des seigneurs de Roussillon, Béatrix de la Tour pourvut à toutes les nécessités de sa position difficile, avec la fermeté et la constance que nous admirons chez quelques-unes des femmes pieuses et énergiques de cette époque, qui savaient, comme Blanche de Castille, gouverner d'une main ferme et faire respecter leur faiblesse, dans un temps où la force brutale avait encore tant d'empire.
Encore jeune, à la mort de Guillaume de Roussillon, Béatrix résolut de ne pas s'engager dans les liens d'une nouvelle union. Elle avait aimé passionnément son époux, dit Chorier (1), et son amour s'était transformé en vénération pour sa mémoire. L'affection maternelle, une piété sincère et le culte du souvenir l'absorbèrent désormais tout entière. Vainement, de nobles chevaliers prétendirent à sa main ; vainement, ses proches la pressaient de choisir parmi eux un protecteur pour elle et ses enfants ; elle résista à toutes ces instances. Quoique vivant au milieu du monde, elle semblait déjà lui avoir dit adieu, pour se consacrer aux pratiques de dévotion et aux fondations pieuses.
Mais ses libéralités s'adressèrent surtout à l'Ordre des Chartreux. L'affection qu'elle lui témoigna toujours était, d'ailleurs, une tradition de famille. Bernard de la Tour, treizième général des Chartreux (1253-1258), était son oncle. Son aïeul maternel, Hugues de Coligny, avait fondé, en 1200, la Chartreuse de Sélignac, et son frère, Humbert de la Tour, devenu dauphin du Viennois, par son mariage avec Anne, héritière du Dauphiné, devait fonder, plus tard, la Chartreuse de Salettes (1299). Ainsi fut-elle amenée à fonder la Chartreuse de Sainte-Croix.
Le récit de cette fondation est une des plus gracieuses légendes que nous ait laissées le XIIIe siècle. Et ce qui lui donne un caractère particulièrement intéressant, c'est que ce récit est emprunté à une lettre écrite par Béatrix elle-même, à son parent, Jean de Louvoyes, prieur de la Chartreuse de Vauvert, près de Paris, fondée par le roi saint Louis, en 1257 (2).
Dans cette lettre, Béatrix fait connaître qu'elle était chaque jour vivement pressée par sa famille de contracter un nouveau mariage. Mais, dès les premières années de sa jeunesse, dit-elle, elle avait promis à Dieu et à la Vierge Marie de demeurer toujours fidèle à la mémoire de celui que le Christ lui aurait donné pour époux, et elle voulait remplir sa promesse. Aussi, l'insistance de ses parents et de ses amis lui causait-elle une grande affliction. Au milieu de ses peines, elle demanda un soulagement à la prière, et sa prière fut exaucée. Un songe miraculeux vint, dans ces circonstances, la confirmer dans sa pieuse résolution ; elle vit, pendant son sommeil, une croix d'argent resplendissante, au milieu de plusieurs étoiles. Une autre nuit que Béatrix priait avec ferveur, la même vision se renouvelle encore, et la croix et les étoiles s'approchent d'elle si près qu'elles semblent vouloir la toucher ; puis, s'élevant dans l'espace, elles se dirigent vers le lieu où devait être fondé le monastère de Sainte-Croix.
Le lendemain, qui était un vendredi, vivement impressionnée par cette double apparition, Béatrix, qui habitait le manoir de Châteauneuf, lui ayant été assigné pour son douaire, se rendit à l'église, qui existe encore, où elle fit célébrer la messe en l'honneur de la Sainte Croix (3). L'office terminé, elle ordonne à son écuyer de préparer des chevaux et, suivie de quelques serviteurs, elle part à la recherche du lieu inconnu, vers lequel elle avait vu se diriger la croix et les étoiles.
Toujours sous l'impression de cette apparition extraordinaire, elle devançait sa suite de quelques pas, lorsque tout à coup, la croix et les étoiles lui apparaissent de nouveau, et, comme l'astre rayonnant des rois mages, fuient devant elle jusque dans un vallon solitaire, situé au-dessous du petit village de Pavézin, où elles s'arrêtent enfin.
Béatrix ne connaissait point ce lieu et jamais elle n'avait manifesté à personne l'intention de fonder un monastère. Et cependant, chose étonnante, à peine s'est-elle arrêtée avec sa suite que survient le maître du lieu.
« — Noble dame, dit-il, qu'êtes-vous venue faire ici? J'ai rêvé que vous désiriez acheter ce domaine. »
Surprise, Béatrix crut voir dans ces paroles une manifestation de la volonté divine et elle fit acheter ce terrain par deux hommes prudents et sages.
Mais voici bien un autre sujet d'étonnement. Le même jour, comme elle prenait là un léger repas, arrive aussi un maître maçon, au service du comte de Savoie. La noble châtelaine s'étant informée de l'objet de son voyage :
« — Madame, répondit-il, je suis venu ici, croyant que vous aviez l'intention de fonder une maison de l'Ordre des Chartreux. »
Cette réponse mit le comble à son étonnement et la décida à traiter avec lui. Bien qu'elle eût peu d'argent et qu'elle fût chargée d'enfants et de nombreuses affaires, elle consentit à lui confier, pour un prix déterminé, la construction de la nouvelle Chartreuse (4).

Tel est le récit fait par Béatrix elle-même dans la lettre qu'elle adressait au prieur de la Chartreuse de Paris. Tel est aussi le sens de l'inscription latine d'un ancien tableau du couvent de la Grande Chartreuse, représentant le monastère de Sainte-Croix, depuis la transformation qu'il subit, il y a plus de deux siècles (5).
Notre génération indifférente peut sourire à ces récits naïfs, qui nous demeurent comme la vivante expression des fortes croyances du Moyen Age. Mais, au XIIIe siècle, peu de fondations pieuses se dégagent de cette auréole surnaturelle, dont les hommes d'alors entouraient tout ce qui était attaché à l'idée religieuse. Dans un temps où le peuple aimait à voir la vie de chaque saint se revêtir des couleurs du merveilleux, dans les récits des pieux chroniqueurs, l'œuvre de la bienfaisance ou du repentir se transformait d'une manière étrange, dans les traditions populaires, et chaque abbaye avait dans son histoire une de ces miraculeuses légendes, qui servaient d'aliment à cette foi ardente de nos pères, qui fut le plus puissant mobile de toutes les grandes choses, dont ces âges reculés nous ont transmis le souvenir.
Pourquoi cette lettre, dont nous venons de rapporter le contenu, fut-elle adressée au prieur de la Chartreuse de Paris, Jean de Louvoyes (6)? Ce fait s'explique aisément. Non seulement ce prieur était uni à Béatrix par des liens de famille, mais elle désirait que le monastère, qu'elle fondait ainsi, fût placé sous la direction d'un autre de ses parents, Ponce de la Sablière, religieux profès de la Chartreuse de Paris, et, sans doute, elle estimait qu'elle ne pouvait obtenir cette faveur qu'en s'adressant au prieur lui-même.
Toutefois, ces démarches durent prendre un certain temps. En outre, la fondation de la Chartreuse n'était pas son unique but. Dès les premiers jours, elle avait formé le projet de vivre dans cette paisible retraite, asile de recueillement et de prière où, loin des préoccupations de la vie du monde, elle pourrait se livrer librement à toute l'expansion de ses sentiments de piété. Aussi, quand elle confirma ses intentions, par une donation régulière en faveur des Chartreux, eut-elle soin de se réserver expressément le droit d'habiter, à son gré et autant qu'il lui plairait, le nouveau monastère, jusqu'à la fin de sa vie.
Cette charte de fondation, qui porte la date du 24 février 1280 (1281 n. st.), jour de la fête de saint Mathias, fut dressée dans le cloître de Taluyers (7), en présence d'Amédée de Roussillon, évêque de Valence et de Die, et frère de Guillaume de Roussillon, d'Etienne, abbé de Savigny, d'Aymon, abbé de Saint-Chef (8), d'Hismion, prieur de la Chartreuse du Val-Saint-Jean en Esclavonie, d'Etienne de Meyzériat, moine, et de Pierre Flotte, damoiseau.
Par cette charte, Béatrix comble le nouveau monastère de ses libéralités. Cette donation comprend non seulement tout le territoire situé entre les deux ruisseaux qui baignent les murs de Sainte-Croix, mais encore les terres et les droits que la dame de Roussillon possédait à Trêves, par suite de l'acquisition qu'elle en avait faite d'Artaud de Lavieu, sous la réserve des droits de justice appartenant à son fils Artaud.
La générosité de Béatrix ne se borna pas aux biens situés dans le voisinage de la nouvelle chartreuse. Elle lui fit don aussi de tout ce qu'elle possédait en terres et en vignes dans le mandement de Roussillon, ainsi que de tous les droits qu'elle avait à Surieu, et enfin de la moitié de la terre de Versieu, que son père, Albert de la Tour, lui avait donnée en dot.
De son côté, Artaud de Roussillon, cinquième du nom, son fils aîné, approuva et ratifia non seulement les libéralités faites par sa mère mais il y participa aussi, dans une large mesure, en abandonnant aux Chartreux tous les droits de pâturage qu'il possédait dans le mandement de Roussillon pour servir à la nourriture de 600 brebis avec leurs agneaux et de 20 vaches avec leurs veaux, sous la réserve toutefois de la suppression de ce droit pour les fonds mis en culture.
Artaud céda encore aux religieux les droits aux eaux et à la pêche dans la paroisse de Pavézin, de même que les droits d'usage dans le Grand Bois de Pilat, pour le chauffage et la cuisson du pain des religieux (9).
Ponce de la Sablière, premier prieur du monastère, s'engagea pour lui et son Ordre à n'accepter aucun autre gardien ou défenseur qu'Artaud de Roussillon et ses successeurs, pendant que, de leur côté, Béatrix et son fils promettaient, pour eux et leurs héritiers, de garantir aux religieux la paisible possession des biens donnés (10).
Peu de temps après, les Pères Chartreux, réunis en Chapitre général, manifestaient hautement leur reconnaissance envers la fondatrice, en la recommandant par écrit aux prières de l'Ordre entier. Les travaux de construction commencèrent sans retard, et comme c'était là une œuvre considérable, on adjoignit, pour une durée de trois années, au prieur Ponce de la Sablière, D. Hismion, prieur de la Chartreuse de Seitz, l'un des témoins signataires de la charte de fondation. Ajoutons que, par une précaution fort utile à cette époque, le nouveau monastère fut entouré, comme un château fort, de hautes murailles et de tours crénelées. C'est là un exemple que l'on retrouve fréquemment ailleurs (11).
Le bâtiment, dans lequel Béatrix s’était réservé le droit d'habiter, était situé sur l'emplacement du clocher actuel, et c'est là qu'elle semble avoir passé le reste de sa vie. Ce bâtiment a été démoli, en 1842, avec l'ancien clocher, gracieuse construction du commencement du XIVe siècle, qui dominait le petit cloître, cimetière des religieux. Et, aujourd'hui, il n'en subsiste plus que le mur qui le séparait, au nord-est, du chœur de l'ancienne église, et où l'on montre encore aux visiteurs une ouverture pratiquée obliquement qui permettait à Béatrix d'entendre la messe de son appartement.
C'est là qu'elle mourut le 15 des calendes de juin, c'est-à-dire le 18 mai 1307, suivant Guichenon (12), tandis que les annales de l'Ordre semblent fixer son décès à l'année 1306, parce que cette date s'accorderait seule avec la réunion capitulaire des Chartreux, qui, en 1307, fut tenue au mois d'avril (13). Ce qui est certain, c'est qu'en mourant elle laissa, dit Chorier, la réputation d'une grande sainteté (14) et que sa mort fut un deuil pour les Pères Chartreux ; chaque monastère de l'Ordre en reçut avis et fut invité à célébrer trente messes (tricenarium), pour le repos de l'âme de la fondatrice de la maison de Sainte-Croix.
Béatrix reçut sa sépulture dans le chœur de l'ancienne église du XIIIe siècle, à droite de l'autel. Il est vrai que Molin, D. Le Couteulx et Claude Le Laboureur (15) ont écrit qu'elle avait été inhumée dans la salle capitulaire, à gauche de l'autel, et sur la foi de ces auteurs, nous avions reproduit nous-même cette opinion (16). Mais, comme on le verra, la découverte faite en 1896, à gauche de l'autel, de la tombe de Thibaud de Vassalieu, nous a obligés d'examiner si le fait rapporté par tous ces chroniqueurs était exact.
On sait qu'au commencement du XVIIe siècle, une nouvelle église, dans le style de la Renaissance, fut bâtie sur le côté méridional de l'église primitive. Cette dernière fut conservée néanmoins et elle subsiste encore ; mais elle fut divisée en deux parties distinctes : la nef fut transformée en sacristie, et le chœur devint la salle capitulaire. Et tel était l'état des lieux quand les auteurs que nous venons de citer ont écrit leurs ouvrages. Ainsi ont-ils pu dire qu'elle avait été inhumée dans la salle du Chapitre, à gauche de l'autel, et non dans le chœur de l'ancienne église.
Or, en présence des inexactitudes trop nombreuses de la vue cavalière de Sainte-Croix, conservée à la Grande Chartreuse, où l'on voit notamment le petit cloître placé à gauche de l'église actuelle, alors qu'il existe encore à droite de cet édifice, il est visible que l'artiste ne l'a point dessinée sur place, mais d'après des renseignements mal donnés ou mal compris. Mais, par cela même, n'est-on pas pleinement autorisé à penser que les anciens chroniqueurs de l'Ordre des Chartreux, pas plus que l'auteur du tableau, ne sont jamais venus à Sainte-Croix? Or, pour dissiper ce doute, il suffit d'ouvrir la Table chronographique du Père Gaultier. Cet auteur, qui a publié la première édition de son livre en 1609, était né à Annonay ; il a enseigné successivement dans les collèges de son Ordre, à Tournon et à Lyon, c'est-à-dire dans le voisinage de Sainte-Croix, et il lui était facile de visiter ce monastère. Et il l'a visité, en effet. Car, après avoir reproduit le récit de sa fondation, tel qu'il était rapporté sur un ancien tableau conservé, dit-il, dans cette chartreuse, il déclare expressément qu'il l'a lu lui-même (quam et ipse legi) et qu'il se borne à en donner un simple résumé, en ajoutant que cette très chaste et très pieuse fondatrice est inhumée à droite de l'autel du Chapitre (17).
La contradiction est formelle et, comme elle émane d'un témoin oculaire, on ne saurait contester une assertion aussi positive. Il demeure donc ainsi bien démontré que Béatrix de la Tour a reçu sa sépulture à droite de l'autel du chœur de l'ancienne église, transformée, depuis trois siècles, en salle capitulaire (18). Ajoutons au surplus que la tradition locale confirme pleinement la véritable destination de cette partie de l'édifice. Car lorsque le chœur de l'ancienne église fut vendu, après la Révolution, à la commune de Pavézin, comme dépendance de l'église paroissiale de Sainte-Croix, l'acte de vente énonce textuellement que l'immeuble vendu consiste en un corps de vieux bâtiments, ayant été originairement le Chapitre des Chartreux de Sainte-Croix (19).
Et c'est bien là aussi que furent retrouvés, en 1844, les ossements de la pieuse fondatrice, quand on les transporta au pied du maître-autel de l'église actuelle, avec ceux d'une autre Béatrix, épouse d'Aymar de Roussillon, son petit-fils, que nous retrouvons au nombre des bienfaitrices de la Chartreuse de Sainte-Croix.

A. VACHEZ
1) Chorier, Hist. du Dauphiné, p. 164.

2) On sait que la Chartreuse de Vauvert, dont un bâtiment a subsisté jusqu'à nos jours, était située à Paris sur l'emplacement du jardin actuel du Luxembourg.

3) Cette ancienne église, paroissiale avant la Révolution, n'est plus aujourd'hui qu'une simple chapelle rurale, fréquentée par quelques pèlerins, surtout pendant les temps de sécheresse. Le monument actuel se compose d'une nef et de deux chapelles latérales. L'abside a été reconstruite vers 1850. Le plafond, qui recouvre la nef, dissimule tout caractère architectonique. Mais les deux chapelles remontent visiblement au XVe siècle, comme nous l'apprend la forme des nervures et des blasons qui en décorent les voûtes. Et il en est de même de la fenêtre orientale, couronnée à l'extérieur d'une ogive trilobée. On remarque aussi dans cette église une ancienne cloche portant la date de 1536.

4) D. Le Couteulx, Annales ordinis Cartusiensis. t. IV, p. 344.

5) Pièces justificatives, n°s 3 et 4. — La Tour-Varan, Chronique des châteaux el des abbayes, II, p. 338. — P. Gaultier, Table chronographique, p. 715.

6) Le nom de Jean de Louvoyes, inconnu de nos anciens chroniqueurs, nous a été révélé par les Annales de la Chartreuse de Paris, dues à un religieux de cette maison, dom Maillet, qui les a écrites au commencement du XVIIIe siècle. Ce travail, encore inédit, a été conservé pour la plus grande partie jusqu'à nos jours, dans les Archives de la Grande Chartreuse ; mais le premier volume se trouve encore à la bibliothèque cantonale de Fribourg (Suisse).
7) Le Couteulx, Annales ordinis Carlusiensis, t. IV, p. 347. — Mazures de l'Ile-Barbe, II, p. 533. — Justel, Histoire de la maison d'Auvergne, p. 333. V. Pièces justificatives, n° 5.
8) Le nom de cet abbé est désigné par la lettre H dans la reproduction de la charte de fondation. Mais, en 1280, l'abbé de Saint-Chef se nommait Aymon. Et il y a lieu de présumer que cette erreur provient seulement de ce que son nom était écrit sous cette forme : Haymon. V. Valbonnais, Hist. du Dauphiné, t. I, p. 237. — Chorier, II, p. 221. — Abbé Varnet, Saint Theudère et son abbaye, p. 167.

9) Mazures de l’Ile-Barbe, II, p. 534. — Cette partie de la charte de la fondation ne figure pas dans les Annales de D. Le Cauleulx, v. t. IV, 346, mais seulement dans les Mazures de l'Ile-Barbe.

10) Mazures de l’Ile-Barbe, II, p. 534.
11) Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, Ve Clôture, III, p. 463.

12) Manusc. de Guichenon à la bibliothèque de l'Ecole de médecine de Montpellier, 18° vol., n° 105

13) D. Le Couteulx, Annales ordinis Cartusiensis, IV, p. 347.
14) Chorier, Hist. du Dauphiné, p. 164.

15) Molin, Histoire mss. de l'Ordre des Chartreux. — D. Le Couteulx, Annales ordinis Cartusiensis, t. IV, p, 347. — C. Le Laboureur, Mazures de l’Ile-Barbe, II. p 533.

16) La Baronnie de Riverie, p. 42. — Fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix (Revue du Lyonnais, 2e série, t. XXX, 1865, p. 42).

17) Table chronographique, p. 715 : Est autem ad dexieram altaris
Capituli sepulta haee castissima religiosissimaque fundatrix.

18) Signalons un autre fait, qui semble nous révéler qu'il y avait là une sorte de tradition suivie par l’Ordre des Chartreux. Ainsi, le corps de Vezian Valette, fondateur de la Chartreuse de Villefranche-en-Rouergue, rapporté de Rome, fut inhumé le 6 juin 1461, à droite du grand autel de l'église de ce monastère (Publications de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, 1868, p. 159).

19) Acte de vente de 1838.

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